jeudi 24 mai 2012

Kilim, cicim, zili, sumak, des tissages aux origines lointaines


Tradition ancestrale véhiculée par les tribus turques d’Asie Centrale, le tissage de kilim, zili, sumak et cicim (prononcer djidjim) est une activité artisanale qui perdure dans toute l’Anatolie. Cette technique a précédé celle du tapis noué à l’aspect velours. Les multiples fonctions utilitaires du tapis tissé (kilim) et parfois rebrodé sur les fils de chaine (zili, sumak, cicim), font de lui l’élément indispensable du confort de la yourte des nomades (isolation du sol, tenture de séparation, enveloppe pour ranger le linge, sac pour stocker ou transporter les céréales etc.) Il est aussi aujourd’hui un élément de décor des habitations de sédentaires. Ses dessins géométriques et ses couleurs  contrastées fascinent encore ici et hors des frontières.


Les motifs récurrents ont attisé la curiosité et laissent à penser qu’ils ne sont pas uniquement décoratifs, ni simplement soumis à des exigences techniques d’exécution.
Des études plus ou moins sérieuses se sont intéressées à la symbolique de ces dessins stylisés et à leurs dispositions jusqu’à y voir un véritable langage de signes.
La plupart s’accordent pour y déceler l’expression d’une survivance des croyances chamaniques des peuplades turques d’avant l’islamisation. C’est vraisemblable car elles n’ont encore aujourd’hui pas entièrement disparues de la mémoire collective et des traditions.
Les motifs évoqueraient donc les préoccupations tout autant matérielles que sentimentales et spirituelles des femmes qui les confectionnent : fécondité, fertilité de la terre nourricière, cycle de la vie et de la mort, soucis de se protéger de la maladie et des dangers pouvant menacer la descendance, de conserver l’union de la famille, etc.

Le médaillon central de ce kilim aux motifs particulièrement diversifiés, est orné d’une sorte de pompon
Les plus utilisés sont des représentations stylisées de mains sur les hanches (elibelinde), cornes de bélier (koçboynuzu), étoile (yıldız), eau courante (su yolu), main (el), peigne (tarak), crochet (çengel), yin-yang (birleşim), empreinte ou gueule de loup (kurt izi / kurt ağazı), aigle (kartal), scorpion (akrep), dragon (ejder), entraves (bukağı), feuille (yaprak), arbre de vie (hayat ağacı), oiseau (kuş).
Ces dessins ne sont pas uniformément représentés et les variantes d’une région à l’autre compliquent parfois le repérage. Certains sont associés à une tribu et seraient en quelque sorte un signe de reconnaissance, une signature.

Cicim de Bergama

Néophyte en la matière, malgré l’attrait qu’exercent sur moi ces compositions colorées, je ne me risquerais pas à vous en proposer des interprétations. Pour vous faire une petite idée des correspondances entre motifs et signifiants mieux vaut consulter des ouvrages de spécialistes, par exemple celui de Belkis Balpinar Acar, Kilim-cicim-zili-sumak Türk düz dokuma yaygıları, Eren yayınları 1982, qui vient de clôturer une exposition de ses créations personnelles au Cirağan. Ou demandez quelques éclaircissements à des vendeurs expérimentés comme Florence Öğutgen dirigeant le magasin Tradition (Kürkcüler Sk, Rubiye Han, No 11-12 - Kapalıçarşı, Istanbul) ou à Şişko Osman, (Zincirli Han No: 15,  Kapalıçarşı, Istanbul)             
C’est évidemment dans les boutiques du Grand Bazar d’Istanbul que l’on peut trouver le plus grand choix puisque des rabatteurs sillonnent toute la Turquie pour un approvisionnement continu, mais chaque région a ses lieux de production spécifique. Les plus renommées étant la région égéenne (Afyon, Aydin, Bergama, Denizli, Manisa, Uşak), l’Anatolie centrale (Aksaray, Çorum, Elmadağ, Kayseri, Nevşehir. Konya, Sivas), l’Anatolie orientale (Erzurum, Kars, Malatya, Van), le Sud-est anatolien (Gaziantep, Maraş), la côte méditerranéenne (Adana, Antalya, Fethiye), et la Thrace (Şarköy).

Kilim aux motifs figuratifs de fleurs et épis de blé trouvé près de Nevşehir 
Les kilims et autres tapis tissés ont donc beaucoup d’histoires à raconter à ceux qui s’attarderont à décrypter ces messages du quotidien d’époques lointaines…  
En les foulant avec moins de désinvolture, l’occasion vous sera donnée de faire un peu d’anthropologie et d’ethnographie dans votre salon.

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