mardi 5 octobre 2010

«Les années» d’Annie Ernaux

Il y a des moments où la rencontre avec un roman résonne en écho douloureux et apaisant à la fois. Douloureuses, les évocations des sentiments de l’auteure parce que trop proches des pensées qui tournent dans la tête, mais apaisante la sensation de les partager.
Les années d’Annie Ernaux sont un peu plus longues que les miennes, mais ça n’empêche pas de faire vibrer quelques cordes bien sensibles… Une envie de sauver des images…

« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »

« Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mot le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d une lointaine génération. »

Et le livre refermé, bien des phrases m’accompagneront dans mon voyage à Paris, sixième plongée en apnée depuis le début de l’année. Des bulles de souvenirs vont encore éclater en surface.

dimanche 3 octobre 2010

Court séjour à Bursa


Il y avait longtemps (une vingtaine d’années) que je n’étais pas retournée à Bursa…. Le CE2, si mes souvenirs sont exacts, partait en voyage pédagogique et j’accompagnais cette classe découverte du lycée Pierre Loti. Les enfants, et moi en même temps qu’eux, avions découvert avec curiosité les étapes de la filature industrielle de la soie, de la sériciculture (élevage du vers à soie sur les feuilles de murier jusqu'à la fabrication du cocon) puis la préparation des cocons, le dévidage et enfin l’enroulement des fils sur les dévidoirs…
Un bref séjour a été l’occasion de revoir cette ville que les ottomans avaient choisie pour première capitale (de 1326 à 1361), et où l’on aimerait prendre le temps de flâner… Mais les heures étaient comptées et du parc de la culture je n’ai qu’une photo prise de la chambre d’hôtel juste en face.
Bursa est en effet réputée pour son environnement naturel verdoyant qui lui vaut d’être nommée Bursa la Verte et les carreaux de faïences d’Iznik ne sont donc pas les seuls à justifier ce qualificatif.

Dans le quartier Hürriyet un vénérable ancêtre végétal, un platane d’Orient de plus de 600 ans, 35m de hauteur et 3m de diamètre, est mis à l’honneur et attire les visiteurs dans le petit parc « Nostalji ». Ils s’attardent au pied de l’arbre séculaire, illuminé le soir, pour y siroter un thé brûlant ou déguster des « gözleme » confectionnés dans les règles de l’art et cuit patiemment sur la grande plaque chauffée au feu de bois.




En passant devant la maison de Hacivat et Karagöz, petit musée reproduisant leurs effigies sur ses murs, le chauffeur de taxi s’empresse de nous raconter la légende très répandue qui fait naitre à Bursa les deux personnages réels qui auraient inspiré la création de ceux du théâtre d’ombre bien connu. Censés travailler tous deux sur le chantier de la mosquée d'Ulu, ils passaient leur temps à bavarder et faire les pitres pour amuser leurs camarades, les empêchant d’avancer dans leur tâche. Le sultan Orhan Gazi, très mécontent, les aurait fait décapiter. Les habitants de Bursa auraient tellement regretté leurs facéties que le vizir, Şeyh Küsteri, aurait eu l’idée de les faire revivre en créant des marionnettes, apaisant du même coup les remords du sultan.

Petit problème chronologique, la mosquée d’Ulu a été construite entre 1396 et 1400 pendant le règne de Beyazıt Ier (1389-1402) et le sultan Orhan est mort en 1360. Le chantier évoqué serait donc logiquement celui de la mosquée d’Orhan Gazi (vers 1339). Mais les légendes prennent souvent quelques libertés avec les vérités historiques… Et la grande mosquée d’Ulu est si impressionnante qu’on peut hésiter à lui retirer les ombres des marionnettes en peau de chameaux qui collent à ses murs…

Bien réelles, de gigantesques inscriptions calligraphiques ornent l’intérieur de la mosquée, mentionnant les quatre vingt dix noms d'Allah en écriture divani et koufique, rappelant la décoration de la vieille mosquée d’Edirne construite peu d’années après.



Celle-ci a cependant une particularité remarquable : son bassin d’ablutions (şadırvan) en marbre, placé à l’intérieur, sous la plus haute des vingt coupoles.

Le Bazar, l’Emir han (l’un des plus anciens caravansérails ottomans), offrent dans la vieille ville l’occasion de se faire une idée de l’activité commerciale établie depuis le 14e siècle.

Le Koza han, dont la construction fut ordonnée en 1491 par le Sultan Beyazit II est encore un centre important de l'industrie et du commerce de la soie. Au début de l’été s’y déroule une vente de cocons. Une petite mosquée surmonte une fontaine au centre de la cour intérieure, entourée par deux étages de magasins.



A proximité du Koza Han, une installation typiquement chinoise rappelle au beau milieu de la place, l’origine de la découverte de la fabrication de la luxueuse étoffe.


Plus à l’Est, les symboles de Bursa offrent aux regards les somptueuses couleurs des faïences de la mosquée Verte (Yeşil Cami – construite par l’architecte Vizir Haci Ivaz Paşa pour le sultan Mehmet 1er – 1419-1420) et du tombeau du sultan Mehmet 1er (Yeşil türbe) dont la construction fut ordonnée par son fils, Murat II, en 1421.






L’intérieur de la mosquée Verte est actuellement en restauration et la visite un peu limitée. On peut cependant prendre la mesure du raffinement de la décoration. Un art sobre et élégant vit le jour ici avec de nouveaux maîtres dont Ali Ibn Ilyas Ali, considéré comme le premier artiste dans le domaine de peinture murale typiquement ottomane. Il réalisa en 1423 tous les ornements de la Mosquée Verte.
A l’extérieur les fenêtres sont soulignées par des bandeaux de faïence turquoise, rehaussant les harmonieuses marbreries des façades.




Près de la Mosquée verte se trouve également le Musée turco-islamique qui occupe l'ancienne medrese de la mosquée. Des productions de l'artisanat populaire y sont exposées. (Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h.) Visite bien trop rapide, l’endroit mérite de s’y attarder plus longuement…



Une autre fois, il faudra prendre le temps de se promener dans les jardins du complexe de la mosquée de Murat II construite en 1425-1426, ou repose, dans l’un des onze tombeaux de forme hexagonale, le prince Cem, fils préféré du sultan Mehmet II, évincé du trône par son frère Beyazıt II et qui connu la captivité à Bourganeuf dans la Creuse, après avoir régné quelques jours à Bursa en 1482.

De longues années après le déplacement de la Capitale ottomane vers Edirne, les sultans n’ont pas cessé de faire édifier leurs mausolées à Bursa jusqu’à la prise de Constantinople et même après pour quelques princes au destin tragique…

Cette ville a donc la particularité d’offrir au regard la naissance et l’évolution du style ottoman aux XIVe, XVe et XVIe siècles, préfigurant l’apogée aux XVIe et XVIIe siècles dans les réalisations architecturales à Istanbul.

A ce riche patrimoine historique, vient s’ajouter les attraits d’une ville très vivante que les activités industrielles, universitaires, culturelles ont hissé à la 4e place des grandes villes de Turquie.