dimanche 31 mai 2015

Spécialités d’Amasya

On ne quittera pas Amasya sans mentionner ses fameuses pommes. Il était trop tard pour profiter du spectacle des arbres en fleurs mais pas pour goûter à la récolte de l’automne précédent.



C’est aussi la région idéale pour faire provision de marmelades de fruits, pommes et coings et fruits sauvages : 
Azerole, fruit de l’azerolier, variété méditerranéenne d'aubépine (en turc : Aliç), 
Cynorrhodon, fruit de l’églantier (en turc : kuşburnu), 
Cornouille, fruit du cornouiller (en turc : kızılcık).
Celles-ci sont produites par une petite société familiale de la ville de Merzifon et garanties sans ajout de conservateur.



N’oublions pas ses spécialités de çörek (sorte de viennoiseries) aux noix et à la pâte de graines de pavot, dont un ami nous a lesté. Elles seront dégustées à Istanbul après les avoir fait tiédir quelques minutes au four.




samedi 30 mai 2015

Amasya, rive droite

Si l’étroite rive gauche au pied du rocher Harşena fut choisie pour accueillir les constructions antiques c’était à l’évidence pour des raisons stratégiques de sécurité. Elle sut séduire aussi les princes ottomans pour les mêmes raisons sans doute mais ils ne dédaignèrent cependant pas la rive droite pour leurs projets d’envergure.
Ainsi l’imposant complexe religieux du Sultan Beyazıd II (fils de Mehmet le Conquérant) à proximité de la rive fut construit en 1485 sur l’ordre de son fils Ahmet, alors gouverneur de la province d’Amasya. L’édifice a été réalisé en blocs de marbre blanc taillés. 






La partie supérieure du portail est finement sculptée de stalactites et ses deux côtés sont encadrés de cylindres mobiles de porphyre vert… (comme d’autres portails de mosquées d’Istanbul…)


  
Dans le paisible jardin, deux platanes datant de la construction encadrent la fontaine d’ablution à la structure de bois et toit conique. 




L’imaret (soupe populaire) accueille aujourd’hui la maquette de la ville tandis que la medrese fait office de bibliothèque et musée des civilisations. 
Un peu plus haut, le marché couvert d’Amasya construit en 1483 a été plusieurs fois consolidé et remanié.




L’espace était déjà cependant bien occupé par des édifices de l’époque médiévale*, qui ne fut pourtant pas une période des plus tranquilles.
La ville moderne qui s’est développée sur la rive droite a conservé, malgré tout, quelques exemples d’architecture seldjoukide, certes modestes comparés à ceux de Konya, leur capitale.
La mosquée au minaret torsadé, située juste derrière le caravansérail Taşhan, a été construite vers 1240 ainsi que le türbe au toit caractéristique qui recelait des momies actuellement transférées au musée archéologique. Le minaret d’origine, en bois, a été remplacé par un minaret en pierre aux larges cannelures en torsades après l’incendie de 1602.


  
L’ensemble mosquée, Gök medrese et türbe de Seyfeddin Torumtay, gouverneur du sultan Gıyaseddin Keyhüsrev III, fut construit entre 1266 et 1276.


Sur la partie haute de la medrese en forme de tambour octogonal surmonté d’un toit pyramidal subsistent quelques décors de briques vernissées.



Les murs épais du türbe portent encore quelques frises sculptées de palmettes et décors rumi caractéristiques.



Le complexe est plutôt délabré et l’intérieur de la mosquée aurait bien besoin d’une restauration…


Patrimoine privé sans doute, les descendants Torumtay n’ont certainement pas les moyens de l’entreprendre et les subventions se font attendre. Dommage. Le contraste est d’autant plus saisissant que la ville a fait l’objet d’ambitieuses revalorisations de son patrimoine et que beaucoup d’autres édifices religieux et constructions civiles en ont bénéficié, dont l’hôpital psychiatrique déjà cité.


Autre curiosité, les vestiges d’un canal romain creusé dans la roche à la fin du 1er siècle av. JC (situé à la sortie de la ville, parallèle à la route en direction d’Ankara) ont pris des allures de parc d’attraction, avec musée dédié aux amoureux.



Les croyances populaires relient depuis longtemps la légendaire histoire d’amour de Ferhat et Şirin à cette construction et à l’histoire d’Amasya.   
C’est une adaptation locale d’une des épopées de la Perse antique consignée par Firdoussi (940-1020) dans le Livre des rois (Shâh Nâmeh) et reprise dans des écrits du poète persan Nizami (1141 – 1209), « Khosrow et Chirine » qui conte la vie et les amours du roi sassanide Khosrow II et de la princesse chrétienne Chirine, et « Leïla et Madjnoun » inspiré d'une vieille légende qui remonterait aux Perses achéménides (du 6e au 4e siècle av. JC) narrant l'histoire d'une passion amoureuse mutuelle au dénouement tragique.
Voici en résumé la version d’Amasya :
Un certain Ferhat, artiste peintre et la princesse Şirin tombèrent amoureux. On demanda à Ferhat l’insurmontable tâche de creuser seul un canal conduisant l’eau de la montagne vers la ville avant de lui accorder la main de la belle. Les années passant et voyant qu’il arrivait à relever le défi, les intrigants lui firent annoncer par sa nourrice la fausse nouvelle de la mort de la princesse Şirin. De douleur Ferhat lança son outil en l’air pour qu’il retombe sur sa tête et le tue. Apprenant la mort de Ferhat, Şirin se jeta du haut des rochers.
Sur leur tombe, un rosier rouge et un rosier blanc fleurissent, sans pouvoir se rejoindre, séparés par les épines du Paliurus spina-christi…


Cette légende est aussi le sujet d’une pièce de théâtre de Nazim Hikmet (1902-1963) « Ferhad et Şirin » (1955)
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*Pour rappel : 1e période des beylicats turcs Danichmendides (1071-1178), puis domination de la région d’Amasya par le sultanat seldjoukide de Roum (1170-1307).
2e période des beylicats turcs Eretnides (1328-1381) après le déclin du sultanat de Roum provoqué par l’invasion mongole au milieu du 13e siècle plaçant une grande partie de l’Anatolie sous la tutelle des Ilkhanides.
En 1392, l’Ottoman Beyazit 1er conquiert Amasya. Son fils Mehmet 1er résiste à la deuxième vague mongole de Tamerlan et conserve la ville dans l’empire.


mercredi 27 mai 2015

Amasya, rive gauche

Sur la rive gauche du fleuve Iris (aujourd’hui Yeşilırmak) se trouvait la ville antique, capitale des rois perses du Pont (333-26 av. JC) farouches adversaires de Rome, dont les tombes monumentales creusées dans le calcaire au flanc du rocher Harşena s’offrent en décor théâtral depuis les 4e et 3e siècles av. JC. On passe de l’une à l’autre par un chemin creusé lui aussi dans la roche.




Sur les vingt trois tombes de différentes tailles surplombant la vallée, (dont cinq dominent Amasya), l’une d’elles nommée Aynalı mağara (grotte au miroir), à environ 3 km de la ville, retient l’attention. La pierre lustrée de sa façade reflète la lumière. A l’intérieur se trouvent, parait-il, des fresques ajoutées par les byzantins au 10e siècle mais l’accès est fermé.  


Sur le versant du rocher s’agrippent aussi les ruines d’un palais ottoman construit au 14e siècle, dont un hammam utilisé par les concubines des princes et en fonction jusqu’au 19e siècle.


Son sommet est couronné d’une citadelle que fit construire l’un des nombreux Mithridate, abritant les terrasses d’un palais aujourd’hui disparu. La visite n’a d’intérêt que pour la promenade et son point de vue panoramique sur la ville.



Parallèle au fleuve, une petite rue se faufile et donne accès par l’arrière à l’enfilade des anciennes demeures ottomanes toutes restaurées et transformées en musées, pensions, hôtels, cafés ou restaurants.



L’enseigne de l’un d’eux nous rappelle que le géographe et historien grec Strabon naquit à Amasya vers 64 av. JC (mort entre 21 et 25 ap. JC). D’après lui, la ville devrait son nom à Amasis, une reine des Amazones, qui l’aurait fondée. Les pièces de monnaies de la période hellénistique mentionnent Amasseia qui sera modifié en Amaseia par les Romains. Cependant selon des sources hittites, la cité existait déjà sous le nom de [Khakm(p)is].


A proximité du pont Kunç d’architecture seldjoukide du 13e siècle construit sur l’ordre de la fille du sultan Mesud, Hundi Hatun, on peut voir une belle medrese datant de 1488 et de plan octogonal, forme empruntée au türbe seldjoukide et assez rare dans l’architecture ottomane (exception pour la medrese de Rüstem Pacha à Istanbul dont la cour intérieure est octogonale).




Au hasard des flâneries on remarquera les arches du pont romain presque entièrement englouties par le fleuve et surmontées au 19e siècle de piliers et d’une passerelle aujourd’hui piétonne (Alçak köprü).






mardi 26 mai 2015

Les musées d’Amasya

Amasya a vu défiler de grandes civilisations de l'Orient. Elle en conserve de spectaculaires traces dans le paysage urbain et beaucoup d’autres dans ses musées.

Le musée archéologique dévoilera une succession ininterrompue d’occupations des lieux depuis le chalcolithique. Des fouilles de la ville et de sa province ont permis d’exhumer des vestiges datant de la période du bronze, de celles des Hittites, Phrygiens, Cimmériens et Scythes, Lydiens, Perses, Romains, Byzantins, Seldjoukides et Ottomans. Des éléments ethnographiques et de l'artisanat régional sont également exposés.






Certains vestiges sont particulièrement surprenants.
Une statuette hittite en bronze du dieu de l’orage, Teshup, a été découverte en 1962 dans un tumulus de Doğantepe. Elle est datée d’entre 1450 et 1200 avant JC. L’hypothèse d’une implantation tardive, d’une sorte de garnison arrière placée sous la protection du dieu et la plus éloignée possible de la menace des envahisseurs, a été avancée. Elle n’aura pas eu l’efficacité attendue malgré sa facture et ses dimensions supérieures à d’autres statuettes du dieu, et ne parviendra pas à empêcher l’effondrement de l’empire hittite. Elle aurait été démembrée par les Peuples de la mer.



Parmi les nombreux sceaux de diverses époques, la représentation agrandie de l'impression d'un sceau hittite:

    
Dans une des salles du musée, huit corps momifiés sont attribués aux Danichmendites (dynastie turque rivale des Seldjoukides) installés dans la région depuis le 11e siècle et devenus vassaux des Mongols de la dynastie Ilkhanide après l’invasion effectuée entre 1242 et 1258 par Houlagou (petit fils de Gengiz Khan).


Deux d’entre elles ont été retrouvées dans le türbe Cumudar (jouxtant la mosquée au minaret torsadé, juste derrière l’hôtel Taşhan).


Les six autres (un gouverneur de la ville, son épouse et ses quatre enfants) dans les sous-sols de la mosquée Fethiye (ancienne église byzantine du 7e siècle). Leur état plutôt délabré serait dû à une crue du fleuve en 1952 alors qu’elles étaient exposées dans la medrese du complexe de Beyazıd II.
Ce serait les seuls spécimens de momies musulmanes connus et auraient la particularité de ne pas avoir été éviscérées.
A l’extérieur du bâtiment abritant les collections depuis 1980, quelques autres vestiges d’époques diverses jonchent le jardin du mausolée (türbe) du dernier sultan seldjoukide Mesut II (mort en 1307).



Un autre musée situé dans la medrese du complexe de Beyazıd II complète le tour d’horizon des civilisations s’étant succédées à Amasya dans différents contextes géopolitiques.








     
Le panneau ci-dessus rappelle la publication, le 22 juin 1929, du manifeste d’Amasya (Amasya Genelgesi) écrit par Mustafa Kemal et signé par les principaux officiers supérieurs du pays. Il proclamait la nation en danger et annonçait la convocation d’un congrès à Sivas. Il fut diffusé dans toute l’Anatolie pour appeler à la lutte pour l’indépendance, s’opposant ouvertement au gouvernement du sultan.
Un musée est aussi intégralement consacré à cet événement historique.


Dans le complexe religieux du sultan Beyazıd II, se trouve aussi le musée de la maquette. Reproduction au 1/150 de la ville telle qu’elle se présentait vers 1914, avant le grand incendie. Simulations diurne et nocturne de l’activité urbaine.


Musée de la médecine et chirurgie de Şerefettin Sabuncuoğlu
Une construction datant de 1308, évoquant l’architecture des medrese seldjoukides mais édifiée après leur chute au début de la période Ilkhanide, fut destinée à accueillir un hôpital psychiatrique (Amasya Bimarhanesi). Un exemple antérieur se trouve à Divriği, un autre postérieur à Edirne dans le complexe de Beyazid II.




Pendant 5 siècles des patients furent soignés entre ces murs mais au 19e siècle la bâtisse servit à d’autres usages (la culture des vers à soie et entrepôts divers) avant d’être restaurée de 1992 à 1997 afin d’honorer la mémoire de Şerafettin Sabuncuoğlu (1386-1470). Ce personnage, contemporain de la naissance de l’empire ottoman, y a pratiqué la médecine et la chirurgie pendant 14 années et élaboré un ouvrage traduisant et adaptant les écrits médicaux d’Abu al-Qasim (père de la chirurgie moderne qui a vécu en Andalousie au 10e siècle), en y ajoutant de nombreuses miniatures illustrant ses méthodes.
Dans les salles sont exposés ses instruments. Divers mélanges médicamenteux, essentiellement à base de plantes, qu’il aurait expérimenté sont en vente.


Dans la cour intérieure, il est possible de faire une pause thé ou café, et de méditer si le cœur vous en dit une citation de Mevlana: 
Allez… maintenant pense que tu es de l’eau et sens toi comme l’eau… spécial comme l’eau, agréable comme l’eau, clair comme l’eau, bénéfique comme l’eau… Comme l’eau source de vie, souviens-toi que tu es intarissable comme l’eau…
Mais aussi comme l’eau sois capable d’être contenu dans un petit verre. Apprends à entrer dans les veines des hommes. Donne la vie… Sois indispensable!  



Le musée ethnographique Hazeranlar est situé dans une demeure typique de l’architecture ottomane du 19e siècle qui a été restaurée en 1979. Il présente la vie quotidienne de l’époque dans une disposition et des décors traditionnels, boiseries des plafonds, mobilier, tapis et kilims, ustensiles, vêtements etc…





Un Konak construit au tout début du 19e siècle dans le même style que les maisons de Safranbolu a été restauré en 2007 pour accueillir dans un décor luxueux les reproductions en cire des princes ottomans ayant été éduqués dans la ville. Au 1er niveau ceux qui ont gouverné la province d’Amasya sans accéder au sultanat, et au 2e niveau, ceux qui ont eu l’opportunité de devenir sultan.




Il est temps de partir déambuler dans les rues pour y reconnaître les vestiges de ce passé bien chargé en essayant de ne pas se perdre dans la chronologie... (A suivre...)