lundi 27 avril 2015

Exposition « Mimar Sinan et Merveilles du Génie Créatif »

La silhouette d’Istanbul ne serait pas ce qu’elle est sans l’intervention prolifique de son génial architecte Mimar Sinan (1489-1588) qui a marqué de son empreinte le 16e siècle et influencé le style architectural des siècles suivants.


Pas moins d’une vingtaine d’articles de ce blog font référence à l’une ou l’autre de ces œuvres, puisqu’elles sont omniprésentes à Istanbul mais aussi dans d’autres lieux de l’ancien empire.  
C’est bien peu et loin de répertorier les quelques quatre cents constructions qui lui sont attribuées.


L’exposition qui lui est consacrée dans l’ancienne fonderie à canon de Tophane jusqu’au 31 mai 2015 n’a pas non plus pour objectif de faire un inventaire exhaustif, mais de présenter le personnage et son œuvre.


D’origine grecque ou arménienne - les sources divergent - converti à l’Islam selon l’usage de prélèvement de l’époque (1 garçon sur 40) et instruit pour servir l’empire, ou né à Kayseri dans une famille turque musulmane depuis au moins deux générations ? Aucune hypothèse ne fait l’unanimité.
Des documents semblent prouver que c’est au sein du corps des janissaires que son génie créatif fut révélé essentiellement par la construction de ponts et de fortifications sous le règne de Selim Ier.
A partir de 1539, date de sa nomination d’architecte impérial en chef, il réalisera les édifices religieux, bâtiments publics et résidences commandés par Soliman le Magnifique, Selim II et Murat III, la famille impériale ou les plus hauts fonctionnaires de l’état.
Le personnage étant d’un naturel discret, peu d’anecdotes ont été consignées à son sujet, laissant aujourd’hui le champs libre à une littérature souvent plus proche du mythe que de la réalité. Contentons-nous de son œuvre.
Il consacra une grande partie de sa vie à la recherche de la perfection, de l’harmonie des volumes, de la luminosité, de la solidité des structures à l’apparence aérienne, en synthétisant les connaissances techniques de son époque et un héritage architectural millénaire dû aux bâtisseurs du Moyen-Orient et de l’Occident. Il mit à profit le talent des artistes céramistes et peintres pour la décoration intérieure de ses édifices.
Il adopta une ligne de conduite rigoureuse dans la planification et l’exécution méthodique de constructions destinées à magnifier un empire et embellir une capitale selon les règles strictes définies par les sultans dont il servit les projets de grandeur. Le diamètre et la hauteur des coupoles, le nombre de minaret et de leur balcon sont le reflet d’une hiérarchie sans concession. Mimar Sinan fut aussi maître dans l’art d’inscrire ses réalisations en utilisant au mieux la topographie spécifique des lieux.  Le résultat s’apparente à une majestueuse mise en scène des personnages d’un empire à son apogée.






Outre des panneaux explicatifs aux schémas suggestifs, de quelques maquettes et illustrations, l’exposition met en œuvre toutes les technologies actuelles, montages vidéo, écrans tactiles, applications interactives à suivre sur tablettes ou IPhone, etc. pour rendre hommage à ce grand architecte et permettre aux visiteurs d’avoir une vision d’ensemble d’une œuvre qui s’inscrit bien au delà de son contexte historique et géographique.








          Quelques photos d’écran du montage animé « Les quatre saisons d’Istanbul »

Les Stambouliotes s’offriront le luxe de trouver certaines parties de l’exposition un peu fade, en particulier la projection animée en boucle sur la coupole intérieure d’un bâtiment annexe de la fonderie. Privilège de ceux qui peuvent lever les yeux sans modération sur les originaux ! 
L’objectif de l’exposition visant une reconnaissance universelle, elle sera présentée ensuite à Ankara, Bursa, Kayseri, Eskişehir, avant de poursuivre son itinéraire vers l’Europe, l’Amérique, le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient jusqu’en 2016.


Lieu de l'exposition: Tophane-i Amire Kültür ve Sanat Merkezi
Du 9 avril au 31 mai 2015 de 10h à 19h tous les jours sauf lundi
Entrée 25 TL, tarif étudiant 15 TL. Pas de gratuité ni réduction avec la « müzekart ». Les fonds devraient en grande partie contribuer à continuer la recherche menée par l’Académie des Beaux arts et l’Université portant fièrement le nom de Mimar Sinan.


mercredi 22 avril 2015

Des pousses d’asphodèles (çiriş otu) sur les marchés d’Istanbul

En même temps que quelques autres herbes variées non cultivées comme la mauve (ebegümeci), l’ortie (ısırgan otu), la chicorée sauvage (hindibağ), le pissenlit (karahindiba ou radika), l’oseille-épinard (labada), le surgeon de choux (cibez) etc…, des pousses d’asphodèles (variété des montagnes), çiriş otu en turc, font depuis plusieurs années la curiosité des marchés au mois d’avril.
Ses feuilles tendres sortent du sol dès la fonte des neiges sur les versants ensoleillés des montagnes de l’est de la Turquie. Elles sont traditionnellement récoltées par les villageois pour leur consommation personnelle. C’est devenu une activité saisonnière, qui leur apporte un petit revenu parfois vital, depuis qu’une grande partie de la récolte est expédiée vers les grandes villes.
J’espère simplement que quelques pieds échapperont à leur vigilance pour arriver à dresser dans les prochains mois leurs superbes fleurs blanches et que cette espèce botanique sera suffisamment protégée pour ne pas devenir endémique comme c’est le cas d’une variété d’orchidée dont on extrait le sahlep.
Je ne sais pas si celle-ci appartient à une variété comestible d’asphodèles mais sa hampe florale épanouie, photographiée sur une des îles aux princes, prouve qu’il est déjà bien trop tard pour manger ses feuilles devenues coriaces.


A propos de la fleur, laissons les envolées poétiques à Homère, André Chénier ou Victor Hugo, et les vénérations aux Grecs et aux Romains qui y voyaient le symbole de la résurrection.
Par contre, ne faisons pas attendre les pousses qu’un vendeur vient de me convaincre d’acheter, vantant habilement le goût subtil et les vertus médicinales de sa marchandise.


Ces petits poireaux des montagnes (dağ pırasası) comme on les appelle parfois vont aller rejoindre la casserole.  
Léger réconfort pour la conscience, ils ont été coupés et non arrachés. On peut espérer que leur racine bulbeuse soit restée en terre… bien qu’elle serve parait-il encore à fabriquer une sorte de colle utilisée pour la reliure et la maroquinerie.
L’épluchage est rapide, il suffit d’enlever l’enveloppe transparente à la base et les feuilles se séparent. Il est conseillé de bien les laver dans plusieurs eaux. On les accommode comme les poireaux ou les épinards. On peut les consommer froid ou chaud, en meze (entrée), en légume, en soupe, en salade, dans les gözleme (sorte de crêpes).
Cette plante entre aussi dans la composition de certains fromages régionaux aux herbes (çiriş otlu peynir).

J’ai préparé les feuilles d’asphodèles épluchées, lavées, coupées en tronçon de 3 cm environ en les faisant revenir dans une cuillère à soupe d’huile d’olive avec un oignon et deux gousses d’ail émincés. J’ai salé, poivré, puis couvert et laissé mijoter 15 mn à feu doux, pour les servir en meze froid.
La prochaine fois j’ajouterai à la préparation, pendant la cuisson, deux cuillères de bulgur et une tomate concassée pour les déguster chaud.




samedi 18 avril 2015

Les points zéro d’Istanbul

A côté de la tour de niveau d’eau près de la citerne basilique, se dresse un plus modeste pilier de marbre du 4e siècle, appelé le Milion de Constantinople. 


C’est un vestige d'un ancien arc de triomphe depuis lequel on mesurait toutes les distances, point de départ des routes de l’empire romain d’Orient. Le Milliaire d'or de Rome avait la même fonction. La matérialisation d’un point symbolisant la centralisation d’un empire, d’un royaume ou d’un pays se retrouve dans de nombreuses capitales sur tous les continents. (Le point zéro à Paris est sur le parvis de Notre Dame)



Presque tous les touristes s’arrêtent devant le Milion baignant en ce moment dans un parterre de tulipes, pour y lire les explications inscrites sur la borne d’information ou écouter celles de leur guide. Suppléant à sa fonction d’autrefois un poteau placé juste à côté y dessine parfois des ombres cabalistiques (comme sur la photo ci-dessous prise en février). Il est censé indiquer les directions et distances de quelques villes. Certaines flèches ont cependant des orientations un peu fantaisistes !  


Le point zéro des Ottomans est beaucoup moins connu et n’est signalé par aucun panneau. Ce lieu particulier a été déterminé par Mimar Sinan et se matérialise par une colonne de porphyre enchâssée dans un angle du mur d’enceinte du jardin de la mosquée Şehzade


D’après l'historien Süleyman Faruk Göncüoğlu, l’endroit fut choisi par l’architecte pour sa situation au centre géographique de la péninsule historique sur l’axe reliant Sainte Sophie à la mosquée de Fatih élevée pour Mehmet le Conquérant. Ce détail, hautement symbolique pour un sultan, mais beaucoup moins pour un jeune prince défunt, semble confirmer l’hypothèse que le complexe religieux devait être à l’origine une commande impériale du sultan Soliman le Magnifique pour lui-même. La construction venait de commencer quand la mort prématurée et imprévisible de son fils Mehmet en 1543 fit modifier le projet. On éleva ici le türbe du prince. La mosquée et ses dépendances, achevées en 1548, lui furent dédiées. Elle devint le symbole de l’amour parental et au fil des siècles un arbre creux fut l’objet de dévotions, car censé exaucer les vœux de fécondité.


Le sultan commanda une autre construction à Mimar Sinan : le complexe de la Süleymaniye (1550-57) surplombant l’une des 7 collines de la ville. 

Il est à noté que la colonne de porphyre était mobile et avait pour fonction annexe d’indiquer par son immobilisation éventuelle les glissements de terrain ou secousses sismiques susceptibles de menacer l’édifice religieux. Ce système ingénieux fut repris par Mimar Sinan pour la mosquée Kılıç Ali Paşa à Tophane. Les deux petites colonnes de marbre rose de part et d’autre de la porte principale tournent encore sur leur axe.


La colonne de porphyre de la mosquée Şehzade a reçu moins d’égards. Elle est désormais immobilisée par les rehaussements successifs de la chaussée et le revêtement du trottoir. Rares sont ceux qui la remarquent, plus rare encore ceux qui en connaissent l’histoire.





vendredi 17 avril 2015

Les tours de niveau d’eau à Istanbul

Depuis plusieurs millénaires, les civilisations ont déployé des trésors d’ingéniosité pour tenter de maîtriser l’eau.
De nombreux vestiges des constructions byzantines et ottomanes liées à l’approvisionnement, l’acheminement, le stockage et la distribution font encore parti du paysage urbain.
De la période byzantine on peut citer l’aqueduc de Valens et plusieurs citernes souterraines (citerne basilique, citerne de Philoxenus, citerne de Théodose (toujours en restauration), citerne Nakılbent sous le magasin Nakkaş. Une autre se trouve dans le musée Rezan Has (pas toujours accessible) et une petite asséchée depuis longemps fut transformée en restaurant chic dans la rue Soğukcesme à Sultanahmet (Sarniç Restaurant).


D’autres sont en surface (citerne de Theotokos Pantokrator dans le quartier Zeyrek).

Les ottomans se sont servi de ces structures existantes et en ont ajouté d’autres en particulier l’aqueduc de Mağlova construit par Mimar Sinan, des réservoirs comme celui de Taksim, des kiosques de régulation de débit et de distribution (maxem) et d’innombrables fontaines monumentales ou de taille plus réduites constituant un patrimoine architectural remarquable.

 Une représentation de la fontaine Hekimoğlu Ali Paşa (Feyza Oyat - 2009)

Toutes ces constructions participaient à la nécessité de se prémunir de la pénurie de cet élément vital en cas de sécheresse ou de siège. Mais l’inverse, les inondations constituaient un autre danger. Mieux valait donc d’être averti des changements de niveau pour tenter d’anticiper les risques.

On éleva dans la capitale ottomane des structures mettant en application le principe des vases communicants. Elles permettaient de réduire la pression dans les conduites et de réguler le débit. Il y en avait des centaines, une trentaine subsiste encore parait-il. Tous ceux qui ont déambulé un tant soit peu dans les rues d’Istanbul en ont vu sans toujours savoir de quoi il s’agissait.
Se dressant comme des cheminées, ce sont des tours de niveau d’eau (su terazisi) le plus souvent massives et carrées. Elles n’ont pas pour fonction principale de constituer des réserves contrairement aux châteaux d’eau.
La plus connue s’élève à proximité de la citerne basilique.



Une autre se trouve dans le périmètre de la cour extérieure de la mosquée Bleue. Pour le moment on ne peut la voir que depuis l’hippodrome car les alentours sont fermés pour cause de rénovation du 6e minaret dont les morceaux en pièces détachées gisent au sol. 


  
La plus élégante qui soit encore debout fut bien sûr érigée par Mimar Sinan à l’intérieur du mur entourant le jardin de la mosquée Şehzade, près des türbe.






Une autre plus petite, en pierres et briques superposées, se dresse à l’extérieur dans un angle du même mur.


En flânant vous pourrez en repérer dans d’autres quartiers en plus ou moins bon état. Une dans le parc Gezi près de la place Taksim, une à proximité de l’hôtel Divan, mais aussi à Aksaray, Kasımpaşa, Edirnekapı, Bebek, Üsküdar, et la liste n’est pas exhaustive.



mardi 14 avril 2015

Le kiosque Maksem de la place Taksim

Bordant la place Taksim l’ancien réservoir dont la construction s’acheva en 1732 était destiné à l’alimentation en eau potable d’une population déjà en pleine croissance. Taksim, se traduisant par répartition aurait dès lors été adopté pour dénommer les lieux et la place.



La longue bâtisse (derrière les fleuristes) qui abritait autrefois des bassins a été restaurée et depuis 2008 accueille des expositions temporaires.
Comme une sentinelle posée à l’entrée de l’artère piétonne, avenue İstiklal, une construction octogonale aux allures de türbe, datant de la même époque, la prolonge. 



Elle est flanquée de la fontaine Mahmut 1er sur la façade à droite de l’entrée. 


J’ai toujours vu sa porte close et me contentais de regarder voleter les moineaux aux abords des deux nichoirs, résidences palatiales en miniature qui la surmontent.




Un croquis exposé dans l’ancien réservoir donnait une vague idée de l’agencement fonctionnel intérieur destiné à contrôler le débit et repartir la distribution vers les fontaines, les hammams, les casernes des quartiers environnants Beyoğlu-Galata mais aussi Fındıklı-Tophane, et Kasımpaşa.


Depuis près d’un an, l’accès de ce petit kiosque (maksem) est libre. Il a été aménagé en office de tourisme. 


A l’intérieur, un personnel souriant et plurilingue vous accueille, vous informe et distribue brochures et dépliants. A la demande il peut ouvrir les vannes du système de régulation et l’on voit l’eau jaillir des buses d’écoulement enchâssées dans un bassin de marbre.


Les décors peints du plafond et des murs, les inscriptions calligraphiques louant les bienfaits de personnages ayant contribué à l’entretien et l’amélioration de ce système hydraulique ont été restaurés et redonnent à l’ensemble un aperçu le l’art ornemental ottoman.



Une pause conseillée avant d’affronter la foule cosmopolite d’une des avenues les plus fréquentées d’Istanbul !

Le maksem de Taksim enfin restauré nous apporte un témoignage tangible de l’importance de la distribution équitable de l’eau et d’une solution apportée à une problématique toujours d’actualité. Un défi que toutes les civilisations ont tenté de relever mais qui ne trouve pas encore partout sur la planète de réponses satisfaisantes.

Une autre construction plus ancienne et de même fonction existe encore à Eğrıkapı près du quartier stambouliote Edirnekapı, proche des remparts. Elle est attribuée à l’architecte Sinan. Elle n’est pas accessible et passablement délabrée.
Un rapport, des relevés en vue de restitution et restauration ont été effectués en 2002 et approuvés en 2005 mais le projet n’a pas encore abouti. (Source en turc de ce dernier paragraphe: ici)