vendredi 16 mai 2014

Afyonkarahisar et Kütahya

Deux villes étapes avant de quitter la Phrygie.
Le piton volcanique d’Afyonkarahisar se voit de loin! Pas étonnant qu’il ait provoqué l’intérêt des occupants successifs de la région.


Les premières fortifications furent dressées à son sommet par les Hittites qui fondèrent probablement la ville de Khapanuwa.




Elle sera tour à tour habitée par les Phrygiens, Lydiens, Perses, Galates, Romains et Byzantins, avant de devenir la Citadelle Noire (Karahisar) des Seldjoukides au 13e siècle, puis des Ottomans au 15e siècle. A son nom fut associé celui du produit dérivé du pavot, principale culture de la région, l’opium (afyon). Les graines contenues dans la capsule, appelées en turc haşhaş tohumu et abondamment utilisées en pâtisserie ainsi que sous forme de pâte à tartiner (haşhaş ezmesi) ou d’huile, n’ont donc rien à voir avec le haschich, nom courant de la résine de cannabis. Précision utile car la confusion est courante. Cela n’empêche pas un contrôle étatique strict de la culture du pavot destinée à la production d'opium contenu dans la capsule de la plante et non dans les graines, pour les besoins pharmaceutiques sous forme de morphine.

L’ascension des 600 marches pour atteindre le sommet offre en sus d’un exercice salutaire avant de prendre la route pour Istanbul, une vue panoramique sur la ville.







Au pied du rocher fortifié, le vieux quartier s’enroule, sans parvenir à nous séduire, autour de l’Ulu camii, mosquée seldjoukide construite entre 1272 et 1277, à l’intérieur de laquelle on peut voir plafond, poutres et chapiteaux de bois.








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En dépassant Kütahya, célèbre rivale d’Iznik en production de vaisselle et carreaux émaillés dès le 16e siècle et perpétuant la fabrication de reproductions de modèles d’autrefois, ainsi que d’autres formes et décors, on se contentera cette fois d’un arrêt au marché des céramistes (Kaşı Ahmet, Çiniciler çarşısı No 114) à la recherche de récipients en faïence adaptés à la présentation d’épices, fruits secs ou loukoums, pour le magasin Ayfer Kaur du marché aux épices




  

Dont voici quelques échantillons retenus…


jeudi 15 mai 2014

Gordion, capitale du royaume phrygien

Pour compléter nos pérégrinations phrygiennes, il fallait bien aller voir de près ce qu’il restait de leur capitale fondée par le roi Gordias.



Le site, à proximité du village Yassihöyük, a été abondamment fouillé depuis plus d’un siècle par des archéologues allemands puis américains. Le musée expose des artefacts trouvés dans les tumuli de la nécropole phrygienne (une trentaine fouillée sur les quatre-vingts répertoriés) ainsi que dans les nombreux niveaux d’occupations des alentours depuis l'âge de bronze jusqu'à l'époque romaine.

A l’entrée du musée, ce n’est pas Midas, ni Gordias qui nous accueille mais Alexandre Le Grand! La reproduction d’un détail de la célèbre mosaïque du 2e siècle av. JC, retrouvée à Pompéi et conservée au Musée archéologique de Naples, veut vraisemblablement évoquer ici l’épisode du fameux nœud gordien inextricable tranché par le conquérant macédonien lors de son passage à Gordion, lui assurant la victoire de son entreprise : la conquête de l’Orient !

   
Les vitrines se rapportant aux Phrygiens témoignent de leurs activités artisanales de tissage, de modelage de diverses formes de céramiques aux décors variés, d’éléments architecturaux (tuiles et panneaux décorés), de fabrication d’élégants objets en métal dont les phiales, ces coupes sans pied ni anse, peu profondes avec un renflement central à la base qui serait, d’après les explications muséales, à rapprocher de la symbolique de l’omphalos grec (nombril, centre du monde), et retrouvées dans le grand tumulus avec les fibules attachant les vêtements du défunt.











Des tessons portent les traces d’écriture phrygienne apparentée au grec.

 
Sous abri, on peut voir la reconstitution d’une mosaïque bichrome datée du 8e siècle av.JC, dont l’assemblage de galets présente des décors géométriques qui selon certains auraient inspiré les dessins des kilims anatoliens. Elle ornait le sol d’un des grands mégarons découvert dans la ville de Gordion et serait la plus ancienne mosaïque connue.



Si l’on fait volontairement l’impasse du contenu des autres vitrines concernant les vestiges antérieurs et postérieurs aux Phrygiens, découverts près d’ici, une exception sera faite pour un tombeau galate mis au jour en 1955 dans le village de Kıranharmani à plusieurs kilomètres de là. Les dégradations causées par les éléments naturels et les hommes mirent en grand danger ce vestige jusque là intégralement enfoui, mais pillé à une époque indéterminée. En 1999 il fut démonté pierre par pierre et reconstitué pour y être exposé et protégé au musée de Gordion.
Un clin d’œil aux tribus gauloises qui sont en effet venues s'installer dans les parages au 3e siècle av.JC. Elles ont même eu pour capitale l'antique Ancyre (Ankara) qui s'appelait peut-être alors Angora.



Juste en face, le plus grand tumulus de la nécropole se visite par une entrée aménagée et un couloir d’accès qui n'existaient évidemment pas à l'époque phrygienne.



Seules sont visibles les poutres en cèdre délimitant la chambre funéraire du roi phrygien, Midas... ou peut être Gordias selon certains. La reconstitution de son contenu se trouve au musée des Civilisations Anatoliennes à Ankara. Une partie des objets en bronze (fibules, phiales et pichets) est cependant exposée au musée local.



Mais pour donner quelques éléments à notre imagination, citons Jacques des Courtils qui nous dit qu’en 1957, lorsque les archéologues américains accédèrent à la sépulture… « Le mort fut retrouvé allongé sur un lit de bois, drapé dans un tissu et entouré d'un trésor considérable de chaudrons et vases en bronze et de meubles en marqueterie. Les chaudrons contenaient encore des traces du banquet funèbre : le menu était composé d'une sorte de ragoût de mouton. »

Le site urbain de Gordion est un peu plus loin au sommet d’une colline et l’excavation a dégagé un ensemble représentatif de vestiges. Alignements de mégarons (édifices rectangulaires à pièce unique, traditionnels dans l’architecture  anatolienne du deuxième millénaire), à usage divers : lieux de culte, résidences, et ateliers identifiés par la présence d'objets tels ceux exposés dans une des vitrines du musée (pesons de tissage, navettes en os, aiguilles).





Les fouilles archéologiques continuent aux alentours et il est à peu près certain que la ville s’étendait jusqu’aux abords de la rivière Sakarya, bien au delà des fortifications entourant la colline.     

Il était prévu de faire un crochet par Pessinonte (actuellement Ballıhisar proche de Sivrihisar), cité antique dont la fondation est attribuée au roi Midas qui y aurait fait construire le premier temple de Cybèle, abritant un bétyle (pierre tombée du ciel et censée représenter la déesse)…  
Mais le ciel menaçant n’a fini par déverser qu’un déluge prévisible, nous obligeant malgré tout à remettre la rencontre avec la Déesse-Mère à une autre fois.


Une dernière parenthèse pour compléter un portrait en pointillé du roi Midas. Diplomatie oblige, il aurait épousé Démodiké, fille d’un roi de Kyme, pour s’assurer d’un soutien des cités grecques de la côte égéenne. Mais cet épisode ne figure pas sur les panneaux explicatifs du site antique visité en 2012, par contre des rapports de fouilles anciennes font allusion à la découverte d’une statue archaïque de Cybèle et cinq bas-reliefs la représentant avec un lionceau dans les bras…  

La bibliographie en français au sujet des Phrygiens est assez réduite, mais on ne peut pas manquer de citer un ouvrage donnant un bon aperçu de l’état de connaissance de leur civilisation et ayant l’avantage de la replacer dans le contexte historique et géographique des civilisations l’ayant précédée et de celles qui lui ont succédé :   

Civilisations oubliées de l'Anatolie antique, Laurence Cavalier et Jacques des Courtils, PU Bordeaux 2010

Quittons les vestiges phrygiens sur l'image d'un ultime panneau ponctuant le paysage...