mercredi 25 avril 2012

Artichauts à la turque


Dans sa camionnette, Ahmet vend des artichauts de février à juin depuis une douzaine d’années, dans une rue du quartier de Levent. Pendant les mois d’été il migre à Büyükada, la plus grande des iles aux princes, où il retrouve sa clientèle estivale.


C’est une reconversion pour ce marchand ambulant qui sillonnait autrefois les rues avec sa charrette remplie de chaussures… Pourquoi ce changement radical de spécialité ?
Sans doute parce que les exigences vestimentaires ont bien changé depuis l’éclosion massive de centres commerciaux aux nombreuses enseignes locales et internationales, et que plus personne ne se contentant d’un choix limité, la concurrence a fait son œuvre. Mais d’après notre marchand, la raison évoquée est sa volonté de faire partager à ses concitoyens les nombreux bienfaits de ce légume, de les inciter à en consommer en quantité. Convaincu de participer à leur bonne santé, il explique ses prix légèrement abusifs par la qualité de la marchandise (que je confirme) et l’argument discutable que le coût d’un plat d’artichauts est bien en deçà d’une consultation médicale ! Sauf que pour que la cure soit efficace, le nombre d’artichauts à ingurgiter est conséquent! A en croire l’affichette qu’il a placardée, une cinquantaine par an serait la dose minimale pour parer à tous les maux et de surcroît rester jeune. Ne mettons pas en doute les propriétés thérapeutiques de ce gros chardon, elles sont reconnues, encore qu’il faudrait manger aussi les feuilles… 


Pardonnons à "l’artichautier" (traduction audacieuse du mot turc : enginarci) de se prendre pour un apprenti sorcier… ses cœurs sont tellement bons !       
En début de saison ses artichauts viennent d’Izmir, mais maintenant c’est le  bon moment pour apprécier ceux de Bayrampaşa, les plus tendres et goûteux, le cœur généreux ! Bayrampaşa (un quartier de la proche banlieue d’Istanbul) ne désigne plus depuis longtemps la provenance du légume mais la variété qui autrefois y était cultivée. Aujourd’hui cet artichaut pousse aux alentours de la Marmara, toujours à proximité d’Istanbul mais un peu plus loin vers Yalova et Bursa.


Ahmet ne vend pas tels quels ses artichauts, mais selon les habitudes locales, c’est à dire débarrassés de leur feuilles et du foin. Avec une moyenne de  200 pièces par jour, il a le coup de main !


En effet ici, pas question de faire cuire l’artichaut entier pour tremper ensuite les feuilles une à une dans la vinaigrette. Les cœurs et éventuellement les tiges se cuisent dans un peu d’eau, d’huile d’olive, accompagnés de quelques dés de pomme de terre et carotte, quelques fèves fraiches. Ils sont servis froids dans une présentation colorée, avec une pointe d’aneth. Voici le résultat.



samedi 21 avril 2012

La mosquée du Prince – Şehzade camii


Entre deux bourrasques et deux averses, les tulipes ont bien du mal à garder la tête haute.
Tout près de l’aqueduc de Valens, dans le parc qui précède le complexe de la mosquée du prince Mehmet, quelques plates-bandes s’invitent cependant sur la photo.



Le jeune héritier, mort à 23 ans, deuxième fils de Soliman et premier de Hürrem (Roxelane), de tempérament délicat et poète, apprécierait l’attention…
Pour commémorer sa mémoire, le sultan éploré commanda la construction du mausolée et du complexe religieux à l’architecte Sinan encore au tout début de sa longue carrière. Il n’avait alors réalisé que la mosquée Haseki Sultan édifiée pour Hürrem, et entrepris à Usküdar celle de Mihrimah (fille de Soliman et de Hürrem).






Commencée en 1544, la construction fut achevée en quatre ans. La mosquée Şehzade présente un plan carré surmonté d'un dôme central reposant sur quatre piliers et entouré de quatre demi-coupoles. Les deux minarets sont décorés de motifs géométriques en relief. Elégance et sérénité caractérisent déjà l’agencement intérieur.





L’architecte qui va marquer de son empreinte le style ottoman classique invente pour chaque projet de nouvelles techniques qui le conduiront à la réalisation de son chef-d’œuvre, la Selimiye d’Edirne édifiée entre 1568 et 1574 et inscrite au patrimoine de l’Unesco en 2011.
Pour la Şehzade, Mimar Sinan utilise pour la première fois la technique consistant à masquer les contreforts extérieurs par des galeries à colonnades sur deux des façades.


Les murs de la cour à portiques qui précède le bâtiment sont percés de fenêtres surmontées de compositions géométriques colorées toutes différentes.




La salle de prière est particulièrement fréquentée les vendredis mais les femmes sont nombreuses à se recueillir autour de l’arbre creux plusieurs fois centenaire réputé pour exaucer les vœux de fécondité.


Dans un enclos non accessible, deux mausolées jouxtent la mosquée.




Le türbe du prince Mehmet, de structure octogonale, est décoré de pierres polychromes, et surmonté d’une coupole cannelée. L'intérieur est parait-il intégralement recouvert de très rares faïences d'Iznik mais non visitable depuis longtemps, pas plus que son voisin, celui du grand vizir Rüstem Pacha (époux de Mihrimah). On ne peut qu’imaginer la décoration intérieure qui rappelle probablement celle de la superbe petite mosquée qui porte son nom et également une œuvre réalisée par Sinan.
Un autre türbe se trouve près d’une entrée du complexe. Il fut ajouté plus tard par l’architecte Dalgic Ahmed Cavus pour accueillir en 1601 la dépouille d’Ibrahim pacha, grand vizir et gendre de Murad III. Fermé également au public, on peut apercevoir par les fenêtres la décoration intérieure de faïences d’Iznik plus tardives.


Certes, d’autres türbe longtemps inaccessibles peuvent être visités depuis 2009 dans l’enceinte du musée de Ste Sophie… en attendant de pouvoir admirer un jour ceux-là.   
Désagréable surprise, les portes de la medrese sont closes. Les lieux ont pourtant accueilli récemment mais brièvement un restaurant. Par les ouvertures, on peut voir un bric à braque incompréhensible dans la cour intérieure. Vestiges d’une kermesse, d’un décor de cinéma ?




Les fumets d’une cuisine traditionnelle se sont évaporés et l’endroit est visiblement à l’abandon depuis quelques temps. Pour savourer quelques instants de quiétude après avoir déambulé dans le jardin et visité la mosquée Şehzade il faudra partir un peu plus loin, du coté de la medrese de Cafer Ağa (entre Ste Sophie et la mosquée bleue) ou la medrese de Hüseyin Ağa (à coté de la mosquée Küçük Aya Sofia) par exemple… 



lundi 16 avril 2012

Escapade à Çatalca

La Thrace, région la plus occidentale de la Turquie, offre aux Stambouliotes l’occasion de s’échapper sans faire trop de kilomètres.
La visite de Çatalca était au programme de ce samedi et malgré des prévisions météo pas très encourageantes, tous étaient au rendez-vous. Nous sommes arrivés sur place moins d’une heure après notre départ. (55 km)
Aujourd’hui petite ville de 17 000 habitants, Çatalca fut un poste avancé de l’armée ottomane. Les environs offraient un lieu de villégiature et de chasse aux sultans ottomans.
L’architecte Mimar Sinan y construisit une mosquée pour le vizir du sultan Murad III (1574-1595), Ferhat Pacha, par ailleurs habile calligraphe. De dimension modeste et d’allure sobre, l’édifice n’en a pas moins l’élégance des réalisations du maître.


De cette époque subsiste aussi des fontaines dont la Topuklu çeşme prolongée d’un bassin et alimentée d’eau de source.


Bien des vestiges de l’époque byzantine sont enfouis mais quelques uns témoignent de son passé quand elle avait pour nom “Matrai”.
Des pans ruinés de la grande muraille qui la traversait, s’étirant de la mer Noire à la Marmara sur des centaines de kilomètres, sont encore visibles.


Le musée de l'Echange Gréco-Turc, ouvert en 2010, retrace une histoire beaucoup plus récente et encore sensible. Les déplacements de population qui ont accompagnés la naissance de la République de Turquie ont laissé des traces douloureuses et ce n’est que depuis peu que le tabou est levé sur le sujet.


De part et d’autres de la mer Egée ils ont été nombreux à devoir quitter les provinces où ils étaient nés, pour rejoindre leur pays où ils n’avaient jamais vécu. 



Un film récent « Dedemin İnsanları » de Cağan Irmak, évoque le déchirement des familles turques de Crète à leur arrivée sur le sol turc.
Dans les rues de Çatalca, quelques anciens se souviennent que leur parents ont vécu cet épisode tragique et n’ont pas oublié le grec, langue qui a bercé leur enfance.


Le bâtiment qui abrite le musée est une ancienne taverne grecque qui fut un temps le local d’une banque.

La gendarmerie est aujourd’hui installée dans l’ancienne école religieuse de sœurs orthodoxes.

 
De cette époque d’avant l’échange subsistent  de belles demeures habitées ou à l'abandon...



Les arbres de Judée préparent leur efflorescence rose qui s’épanouira en mai. Il faudra revenir… car pour l’instant ce n’est qu’une promesse et d’ailleurs le ciel commence à s’assombrir.
A 13km, dans le village d’İhsaniye, le restaurant d’Emin Usta est réputé pour ses spécialités de viande de Thrace. Un poêle rustique confirme que les amateurs viennent ici en toutes saisons.



Apres un copieux repas, la pause thé-café est prévue au village Kabakçıköy. Nous n’avons que le temps de nous engouffrer dans la surprenante brocante de Seyfullah Bey où règne un indescriptible bric à braque de vieilleries et ses créations personnelles de bijoux fantaisie.
C’est là que nous attendrons en vain une accalmie pour continuer notre périple.
Nous aurions été bien inspiré de visiter les grottes d’Inceğiz le matin, au sec, car pour accéder aux niveaux supérieurs, les marches grossièrement façonnées dans le sentier qui mènent à l’entrée sont devenues impraticables. Les plus intrépides qui s’y engagent doivent finalement se résoudre à rebrousser chemin. Un abri aux parois noircies de fumée est occupé par une famille de pique-niqueurs qui commence à s’inquiéter des difficultés d’évacuation en nous voyant périlleusement patiner. 



Des habitations troglodytes et de la nécropole aménagées il y a au moins 25 000 ans nous n’aurons qu’un bref aperçu avant de regagner le car, bien trempés et un peu crottés.


Nous ne verrons rien cette fois des salles successives reliées par des tunnels et des marches creusées dans la roche, ni des voûtes ornées de croix attestant de l’occupation des lieux par des chrétiens. Nous n’aurons pas le loisir d’admirer d’en haut le paysage où serpente la rivière. D’ailleurs une promenade en longeant le cours d’eau conduit à d’autres grottes paraît-il, au lieu dit Kırkayak… Des documents signalent dans les environs d’autres constructions troglodytes, İki Göz près du village d’İhsaniye, Elbasan et Gökçeali dans les villages homonymes… Mais ce sera pour une autre fois !   

Il existe aussi en Thrace des preuves d’occupations paléolithiques d’Homo sapiens remontant au début de leur colonisation de l’Europe il y a plus de 40 000 ans et même d’Homo erectus il y a 400 000 ans. Tout près d’Istanbul, les grottes de Yarımburgaz, à proximité du lac de Küçükçekmece témoignent de cette préhistoire lointaine et ont fait l’objet de toute l’attention des spécialistes qui préconisent de toute urgence une protection du site.   

jeudi 12 avril 2012

Un bout de chemin avec La Passerelle franco-turque


Ce texte est aujourd’hui simultanément publié dans la rubrique «de blog à blog»
 du journal en ligne gratuit : lepetitjournal/istanbul

Pour ceux qui ne connaissent pas encore La Passerelle, résumons ses objectifs en quelques mots : échanges d'expériences dans l’interculturalité.
En effet, bien que fondée en 1995 dans le simple but de créer des liens entre les couples mixtes franco-turcs, le projet associatif a évolué au cours des années. Au delà des nationalités, cette passerelle a l’ambition de se tendre plutôt entre un pays, la Turquie où nous résidons pour une durée plus ou moins longue, et deux langues de communication, le français et le turc, dont nous maitrisons l’usage à des degrés divers. Sorties culturelles insolites, cafés rencontres, ateliers sont les prétextes qui réunissent les membres dans l’affinité des curiosités. Blog et journal servent à relayer initiatives et propositions afin de faire reculer individualisme et intolérance au profit de la solidarité et la convivialité.
Chaque expérience est unique et ne peut prétendre s’imposer en modèle mais l’échange des vécus peut s’avérer utile à la construction d’un parcours personnel.
Me sentir à ma place dans un pays où j’ai choisi de vivre m’a conduit à m’impliquer davantage dans ce projet collectif à partir de 2005. Je dois avouer que la communicative énergie de Brigitte Devrim a fini par être convaincante et l’ambiance amicale des réunions décisive.
Trésorière, secrétaire, rédactrice du journal ont été mes fonctions successives et parfois cumulées au gré des nécessités. Malgré les contraintes et la fébrilité qui ont accompagné chaque publication trimestrielle, relever le défi d’une parution régulière et aussi riche que possible m’a apporté beaucoup de satisfactions et quelques encouragements. Du léger au sérieux, de l’anecdotique à l’essentiel, de l’administratif au touristique, la bonne transmission des informations collectées fut ma mission depuis le No 38.


Le No 63 de La Passerelle franco-turque vient de paraître. Ce n’est pas sans une pointe d’émotion que j’ai récupéré mon exemplaire printanier au café-rencontre de mardi, car ma contribution active à la réalisation du journal s’arrête là… Point de suspension plutôt que point final, je vous livre une mosaïque de couvertures, représentative de ma participation pendant ces quelques années. 
L’aventure associative n’est pas terminée. Le renouvellement du conseil d’administration est un gage de vitalité et je souhaite à la nouvelle équipe de poursuivre l’entreprise commencée par d’autres, il y a 17 ans, sans succomber aux instants inévitables de doute, parfois même de découragement. Qu’elle connaisse à son tour l’enthousiasme et la bonne humeur que j’ai eu le plaisir de partager tout au long du bout de chemin parcouru avec La Passerelle.


dimanche 8 avril 2012

Pâques, Pâquerettes


Elles ont envahi le moindre carré de gazon… et même la couverture de La Passerelle.
La nouvelle équipe a pris le relai pour la publication du journal de l’association… mais rien n’empêche de proposer une photo, un article. Mon tapis de fleurettes attendait avec impatience de s’afficher pour annoncer le printemps !


samedi 7 avril 2012

Souvenirs d’enfance d'une fille unique (4)


La période de Pâques inspire aussi les chocolatiers d’Istanbul et les vitrines se parent d’œufs, de lapins, de cloches… Toutes les occasions sont bonnes pour faire plaisir aux petits gourmands. D’abord réservée aux minorités chrétiennes, d'année en année la tradition fait des émules, toutes populations confondues. Un souvenir d'enfance me revient en mémoire...
     
Une cocotte en chocolat amer
Comme beaucoup d’enfants j’ai subi une ablation des amygdales et des végétations à l’âge de 4 ans. Souvenir très vaguement douloureux de cette intervention qui eut pour conséquence chouchoutage intensif et abondance d’esquimaux que mon papa se procurait dans les cinémas du quartier, le Brunin (actuellement MK2 Nation, bd Diderot) ou le Triomphe (démoli dans les années 70, rue du Fb St Antoine)
Puis le médecin de famille conseilla vivement un changement d’air pour la convalescente, ce qui me valut au printemps, un séjour dans le sanatorium de la Tronche, près de Grenoble, au pied du mont Saint-Eynard. Dans un grand chalet entouré d’un parc, je crois…


Dans les boîtes à photo de l'appartement familial, j'ai retrouvé la carte postale originale...


Mes parents avaient dû m’expliquer que cet éloignement était nécessaire pour ma santé, pour mon bien… que ce seraient des vacances avec d’autres enfants…
Mais je me souviens d’un cuisant dépit à mon arrivée. Un isolement sanitaire et quelques nuits solitaires dans un dortoir immense et vide m’attendaient.
Comment avaient-ils pu m’abandonner dans ces lieux sinistres ? Qu’en était-il des promesses de jeux et de promenades ?
Retrouvant mes congénères, les souvenirs des jours suivants se sont estompés dans l’insouciance de l’enfance, sauf l’épisode de la cocotte en chocolat.
Dans le dortoir réservé aux petits convalescents, les lits en enfilade étaient séparés par des tables de nuit. Un jour, sur quelques unes, des friandises de Pâques, expédiées par les parents, furent déposées puis rapidement englouties.  
Ma voisine semblait particulièrement satisfaite et fière de la superbe cocotte enrubannée qui y trônait, mais elle n’y toucha pas. J’avais bien compris qu’elle ne m’était pas destinée, mais ainsi exposée à la convoitise pendant des jours, la tentation de la croquer devint irrésistible. J’accomplis en cachette l’irréparable, en amputant sa queue d’un coup de dent.


Je n’ai pas le moindre souvenir d’une quelconque investigation du personnel, ni de punition. Il y eu cependant des représailles à la hauteur du forfait : mon baigneur en caoutchouc fut généreusement gribouillé, tout aussi subrepticement, au bic bleu et en porta les traces indélébiles toute son existence.
Honteuse d’avoir été démasquée, je le fus sans doute, mais le sentiment de culpabilité ne m’effleura pas. J’étais victime d’une injustice. L’amertume fut le lot de mes parents qui déjà mal à l’aise d’avoir accepté de m’imposer ce séjour, regrettèrent longtemps cet oubli impardonnable qui avait mis leur petite fille chérie dans une situation si délicate.

D'autres souvenirs … un, deux, trois, soleil !