vendredi 13 janvier 2012

Mystère au musée des mosaïques du grand palais

Les mois d’hiver réveillent chez certains des instincts de marmotte, moi ce serait plutôt ceux de la taupe (ma myopie n’y est pour rien). Les jours sont courts, le ciel souvent triste et à quoi bon même tenter d’attraper un rayon de soleil qui ne réchaufferait pas. Un état fébrile, qui ne doit rien non plus aux divers virus et microbes, s’empare de moi. Il me vient des envies d’explorations souterraines, et Istanbul ne manque pas de trésors enfouis.
Le déclic cette année s’est fait en lisant sur le site officiel du ministère de la culture et du tourisme que le musée des mosaïques du grand palais (Büyük Saray Mozaikleri Müzesi) est fermé au public jusqu’au 14 juin 2012, pour cause de réparation de toiture.

La structure qui recouvre de magnifiques compositions, in situ, qui décoraient le palais de Daphné, l’un des plus anciens édifices constituant le grand palais byzantin reconstruit sous Justinien, a en effet pour mission de protéger ces vestiges datés du 6e siècle. Ils ont fait l’objet de longues et délicates restaurations de 1982 à 1997. Les panneaux représentant pour la plupart des scènes bucoliques sont des exemples uniques de cet art de la mosaïque appliqué à la décoration d’architecture civile de la fin de l’antiquité.








On connaît la lenteur d’exécution de certains projets qui, pour des raisons mystérieuses, semblent ne devoir jamais aboutir malgré des déclarations médiatiques pleines de bonnes intentions. La citerne Theotokos Pantokrator (Zeyrek sarnıcı), la citerne de Théodose (Şerefiye Sarnıcı) sont toujours en souffrance tout autant que l’hypothétique « arkeologik parkı » concernant justement des vestiges byzantins. Ils n’ont d’ailleurs pas l’exclusivité d’incompréhensibles escamotages. Le superbe pavillon impérial de la Yeni Cami, dont la restauration à grands frais a été récompensée et l’inauguration officialisée, est toujours fermé au public pour d’insondables causes…




Aussitôt l’inaccessibilité, même momentanée, du musée des mosaïques, situé sous le marché arasta faisant partie du complexe de la mosquée bleue, s’entoure de mystère.


Arasta du quartier de Sultanahmet


Contrairement à ce que l’on pourrait penser, au moment de la construction du complexe religieux ottoman, du palais byzantin il ne restait que des ruines informes. Il était encore utilisé pour des réceptions officielles sous le règne d’Alexis Ier Comnène (1081-1118) mais la cour impériale s’était déjà installée au palais des Blachernes (lui aussi restauré mais non accessible).


Palais des Blachernes

Les croisés, en 1204 ne se privèrent pas de piller et de saccager l’ancien palais byzantin délaissé. Pourtant des vestiges subsistent et l’on attendait avec impatience de les découvrir avec l’aboutissement du projet « arkeolojik parkı » à côté de l’esplanade entre Sainte Sophie et la mosquée bleue. Il devait être terminé en 2008 comme la pancarte le précise.



Mais auparavant l’hôtel « Four Seasons », installé depuis 1996 dans la bâtisse de l’historique prison ottomane, a pu s’enorgueillir de sa situation en plein cœur du quartier historique. A l’époque déjà les polémiques sur la transformation en hôtel luxueux d’un lieu historique ayant accueilli d’illustres prisonniers (Nazım Hikmet, Aziz Nesin, Yalçın Küçük…), avaient été virulentes. Mais après tout, la restauration de la bâtisse et sa réhabilitation en enseigne hôtelière d’une toute autre nature certes, avait permis de la sortir de l’oubli et de la préserver d’un délabrement irrémédiable. Elle avait failli être rasée purement et simplement. On peut juste souhaiter aux nouveaux occupants qu’ils n’aient pas le sommeil troublé par les fantômes des anciens ! Mais apparemment ces derniers ne sont pas rancuniers car « Four Seasons » a entrepris la construction d’une annexe sur une partie des ruines du palais byzantin. L’initiative a soulevé en 2008 plus que des polémiques. Les procédures judiciaires n’en finissent plus. Le site a été exclu par l’UNESCO du patrimoine mondial. Le projet « arkeolojik parkı » a sombré du même coup et semble s’enliser aujourd’hui plus profondément que ne l’étaient les vestiges byzantins qu’il était censé sortir de l’oubli. La préservation des biens culturels et le développement touristique ne font pas toujours bon ménage.

On reste frustré en voyant derrière la clôture, des passerelles enjambant des pans de mur, des voûtes béantes sur de mystérieux couloirs…



Il parait que les fouilles n’ont jamais cessé et j’imagine des trouvailles fabuleuses.

Source: Wikipédia

Etrange coïncidence que de lire justement dans les pages du dernier ouvrage d’Enis Batur traduit en français, Encycplopédie privée, (ma fille me l’a offert à Noël), comme un écho à mes impatiences, en particulier à la lettre I. Sauf que l’homme de lettre a eu la permission de fouler les lieux secrets et qu’il me reste le rêve !
« Depuis que des fouilles archéologiques récentes ont révélé l’une des entrées aux souterrains du dernier palais byzantin, je nourrissais le rêve de m’enfoncer dans ses couloirs. Ce terrain vague qui s’étend de l’ombre de Haghia Sophia à la mer, où il est "strictement interdit d’entrer", j’y ai finalement été admis, avec un laissez-passer "pour le poète"… »
L’année où ont été écrites ces lignes n’est pas mentionnée mais la situation est identique. Passants curieux circulez, il n’y a rien à voir.

2 commentaires:

  1. Par moments, tout va trop vite et par moments, le temps s'arrête... Il n'y a jamais de juste milieu...

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  2. Oui Nat, malgré sa grande effervescence, Istanbul nous apprend la patience !

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