dimanche 17 avril 2011

Les patchworks turcs – parcalı bohça – d’Elisabeth Strub Madzar

On se croisait dans les couloirs du Lycée Pierre Loti à l’occasion des rencontres parents-professeurs. On échangeait quelques mots sur les prouesses scolaires de nos chérubins, sur l’orientation la plus pertinente qu’ils devraient suivre. On parlait de nos préoccupations du moment… Je ne soupçonnais pas à cette époque la fébrile activité de cette maman comme les autres. J’avais entendu parler de ses expositions de patchworks mais n’imaginais pas l’originalité de son travail. Et puis j’ai lu par hasard des articles de journaux turcs qui parlaient en termes élogieux de l’énergie qu’elle déployait pour transmettre, à sa façon, l’héritage culturel et historique de la Turquie, de sa passion pour faire revivre une tradition textile millénaire.

Elle aussi, exilée volontaire dans un pays méconnu, avait été captivée par la culture de l’autre, attentive, puis réceptive à cette richesse.

La curiosité m’incitait à découvrir ce qu’Elisabeth Strub Madzar faisait de ces bouts de tissus cousus les uns aux autres. Les médiocres reproductions en photos de la presse écrite laissaient déja présager des merveilles. Mais j’ai raté les rendez-vous. Sur les nombreuses expositions réalisées depuis 1990 un peu partout en Europe et en Turquie, il y eut finalement peu d’occasion à Istanbul.

Crédit photographique: Elisabeth Strub Madzar

Crédit photographique: Elisabeth Strub Madzar

De là a germé l’idée d’un reportage pour le journal de "La Passerelle" pour faire connaître les « parçalı bohça » d’Elisabeth. Ce projet s’est transformé, sur sa généreuse invitation, en une visite guidée de son atelier à Göztepe en mars 2011.





C’est ainsi que nous avons découvert qu’il soufflait dans cet atelier une brise de créativité et d'inspiration hors du commun... Sous les doigts agiles de ses élèves, osons le mot, ses disciples, les bouts d’étoffes s'assemblent pour raconter des histoires fabuleuses, des moments de vie, des messages d’amour, des témoignages d’une culture riche d’un mélange de civilisations.




Elisabeth nous raconte sa rencontre en 1986 avec Sevim Hanıf qui l’initia à cette technique ancestrale. Elle nous révèle comment elle réalise des maquettes, grandeur nature, où viendront prendre place les éléments de tissus glanés dans les sandık, malles des familles anatoliennes et citadines. Elle nous explique que des gabarits en papier serviront de base à la découpe des morceaux de satin, de taffetas, de velours, de moire, de soie, unis, imprimés ou brodés, pour devenir des panneaux somptueux par un méticuleux assemblage de formes, de couleurs, de motifs et de textures. Mais plus encore que ces étapes de réalisation, c’est sa démarche artistique livrée en toute simplicité et ses créations, inséparables des sources multiples de son inspiration, dévoilées sans ostentation, qui sont fascinantes.







D’une valeur inestimable, ses compositions, dans lesquelles esthétique et symbolique sont étroitement liées, ne sont pas à vendre. Elles ont été créées pour le plaisir des yeux et de l’esprit, pour remonter le temps jusqu’aux traditions nomades du piécé qui décorait déjà les tentes, pour traverser des siècles de tissages, nouages, broderies et autres travaux manuels qui se rattachent à cette coutume tout aussi ancienne de conserver, pour réutiliser, des chutes d’étoffes dans un baluchon nommé « parça bohçası » qui contient toute la mémoire d’Anatolie, son histoire, ses croyances et ses légendes.

Elisabeth Strub Madzar a publié en 2008 un très beau livre, illustré de ses créations :
Parçali bohça ou patchwork turc, sur le seuil de la somptueuse et mystérieuse Anatolie… (Edition Quiltmania)

Extrait :

« Notre esprit de création est souvent étouffé par la monotonie qui prend le pas dans l’écoulement de la vie. Puis un jour, le potentiel créateur se libère et une force intérieure nous pousse à nous exprimer, à créer.

Pour moi, les étoffes et les broderies anciennes sont un moyen de démontrer que le passé est toujours vivant et qu’il nous sert de base pour situer notre évolution. Ce sont ces matières qui m’ouvrent une porte vers un monde dans lequel tout devient possible, l’impossible devient réalisable. Les morceaux de tissus et les matériaux usagés renaissent dans des compositions qui leur servent d’écrins. Pour ceux-ci, je m’inspire d’une culture somptueuse, raffinée et j’active toutes les facettes d’un art qui fut celui de l’époque Seldjoukide et Ottomane.
Les énergies que ces textiles ont absorbées tout au long de leur existence antérieure réveillent en moi des émotions troublantes qui font vibrer mon âme. Le plaisir d’aller vers l’inconnu, le non créé, de passer par une porte qui s’ouvre sur un monde merveilleux, plein de délicatesse, où nous pouvons rêver, inventer, imaginer, ressentir, palper. Avoir le courage et l’audace de mélanger les couleurs, de jouer avec les formes, de pouvoir matérialiser ce qui plein d’intensité et de mystère se reflète dans mon esprit.
Dans l’art textile, chaque individu peut interpréter selon sa propre sensibilité. Chacun a la possibilité de voir ce qu’il veut, ce qu’il recherche dans les pièces qui sont créées. La composition est le miroir de mes émotions à l’ instant où je crée.
Chaque œuvre réalisée est un monde qui lui-même est formé de races, de cultures, de religions, de traditions et de philosophies si différentes les unes des autres mais qui en réalité ne font qu’une. Dans mes créations, l’ancien et le nouveau se fondent. Les petits morceaux d’étoffe se trouvent, se plaisent, s’accrochent les uns aux autres. Les notions comme le temps, le lieu s’effacent et chacun peut se reconnaître dans ces œuvres.»

Une exposition de ses œuvres se tiendra du 7 au 22 mai 2011 à la MJC, parc de l'Hôtel de Ville de Palaiseau (91), Tél: 01 60 14 29 32, (RER B: station Palaiseau).

Ceux qui seront en région parisienne à ce moment ne devraient pas manquer l'occasion d'entrer dans ce monde merveilleux.

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