samedi 25 décembre 2010

Le guichet de Nimet Abla à Eminönü

Chacun espère l’année 2011 heureuse et prospère…

Pour faire en sorte que ce souhait se réalise, un petit tour du coté d’Eminönü s’impose. Le quartier a la particularité d’abriter un certain point de vente de billets de loterie nationale (milli piyango), réputé pour porter chance ou plus exactement que son ancienne propriétaire, disparue en 1978, était censée apporter. Les clients croyaient depuis 1937 à sa main chanceuse. Pour ne pas faire fuir un sort favorable il était entendu qu’on mettait, sans jeter le moindre coup d’œil au numéro jusqu’au jour du tirage, le billet dans sa poche. Aujourd’hui son neveu a pris la relève et la popularité du lieu ne se dément pas.
A quelques jours du nouvel an, comme chaque fin décembre, la file d’attente devant le très célèbre guichet de Nimet Abla s’allonge irrémédiablement au fil des heures, malgré la multiplication des vendeurs alentour qui essayent de convaincre les passants que leurs billets peuvent aussi apporter la fortune… Si certains restent sobres et classiques, reconnaissables à leur traditionnelle casquette, d’autres misent sur l’originalité !


Les enfants ont vite fait leur choix. Leur préférence va vers cet étrange "Père Noël" en kaftan turquoise, coiffé d’un turban d’opérette couvrant des cheveux grisonnants.
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A-t-il retenu la leçon de l’illustre Nimet Abla qui, bien avant la généralisation du marketing, avait trouvé les méthodes pour motiver et fidéliser sa clientèle. La boite de sucre offerte à tout acheteur, le billet de loterie toujours présenté dans une enveloppe à son effigie, une liste avec adresse des clients pour pouvoir les informer au plus vite quand ils avaient gagné… sans oublier le côté relation publique en ne manquant pas de communiquer aux journaux toutes ses ventes de billets gagnants !
 L’argent ne fait pas le bonheur dit-on mais apparemment nombreux sont ceux qui continuent à penser qu’il y contribue ! Les souhaits pour la nouvelle année reposent sur le tirage du gros lot… ou d’un petit pécule qui serait envoyé du ciel par Nimet Abla.

dimanche 19 décembre 2010

Fragon - Kokina

La vente de fleurs est une traditionnelle activité des Çingene (Gitans) en Turquie et ce fragon qu’ils proposent sous le joli nom de "kokina" m’a remis en mémoire la tragique actualité du quartier de Sulukule. Nous en avons eu de nombreux échos au printemps mais la décision de démolition avait été prise en 2006, au moment de l’élection d’Istanbul Capitale Européenne de la Culture 2010.


Les dernières habitations ont été démolies en avril dernier. Quelques unes seulement ont été épargnées. Mais, victime d’un hypothétique renouvellement urbain, le quartier aura du mal à retrouver son âme tsigane…
Il est vrai que ce quartier rassemblait des situations de grande insalubrité et qu’il était facile d’expulser cette communauté vulnérable aux conditions d’existence souvent précaires, sans véritable identité reconnue. Mais il aurait peut être été possible de trouver une solution moins radicale. Le sort de ceux-là a désormais rejoint celui qu’ils ont dans d’autres pays : un exil à bonne distance des agglomérations… à défaut d’expulsions du territoire. La Turquie n’a pas l’exclusivité en matière de décisions impopulaires.
Curieusement la culture rom, indissociable du paysage culturel stambouliote depuis plus d’un millénaire, ne pesa pas lourd dans la prise de décision de la nécessité impérative de raser Sulukule, ce qui n’empêcha pas le premier ministre d’afficher sa présence en mars 2010 au grand rassemblement festif et musical des Rom qui eut lieu dans l’immense salle de sports Abdi İpekçi à Zeytinburnu.
Originaires de l'Inde, chassés par l’intolérance, ils ont entrepris une longue migration jusqu’en Europe sans revendiquer ni territoire ni souveraineté politique mais uniquement une reconnaissance de leur existence. Certains d’entre eux avaient trouvé refuge dans la capitale de l’empire byzantin. Ils furent ensuite appréciés dans l’empire ottoman, tolérés par la République turque mais l’économie de marché triomphante ne leur laisse plus beaucoup de place. Nomades ou sédentaires, les métiers qui leur sont dévolus sont souvent saisonniers et donc précaires.
Certains ethnologues avancent des chiffres qui mettraient la Turquie au premier rang avec trois millions de Rom, d’autres estiment qu’ils seraient huit cent mille aujourd’hui. Pour faire connaître leur histoire, Elmas et Haluk Arus ont filmé les Tsiganes de Turquie. Dans le documentaire qui a pour titre : « Buçuk », Elmas part à la recherche de ses origines.
Le photographe Matthieu Chazal a lui aussi sillonné le pays sur leurs traces et s’est arrêté quatre mois à Sulukule avant l’arrivée des bulldozers. Ses nombreuses photos ont fait l’objet de plusieurs expositions en 2009 dans le cadre de La Saison de La Turquie en France.
Loin de moi l’idée d’alimenter la polémique, bien inutile maintenant, mais il m’a semblé important de ne pas oublier que ce quartier représentait un témoignage historique de l’installation des Rom dans ce pays, important aussi de ne pas rester dans le mépris ou l’indifférence.

samedi 18 décembre 2010

Fragon dans la forêt de "Belgrad"




















Dans la forêt de Belgrad, j’ai photographié du fragon épineux ou petit-houx, en me disant que ça ferait une couverture convenable pour le numéro hivernal de "La Passerelle".
A l’approche de la nouvelle année nous avons l’habitude de voir les marchandes de fleurs à la sauvette proposer aux passants ces bouquets vert et rouge, couleurs qui rappellent une autre tradition liée spécifiquement au vrai houx qui, étendant miraculeusement ses branches, aurait protégé l’enfant Jésus du roi de Judée, Hérode, voulant massacrer tous les nouveau-nés de la ville de Bethléem pour éliminer celui que les Sages annonçait comme le roi des juifs.

Le fragon, lui aussi épineux, n’a cependant rien à voir avec le houx, sinon la similitude des baies rouges et d’un feuillage persistant qui leur donnent une vocation ornementale au moment des fêtes.
Alors que le houx est toxique, le fragon est reconnu depuis l’antiquité pour les propriétés médicinales de son rhizome, confirmées par des scientifiques contemporains, justifiant son utilisation dans le traitement des troubles veineux et diurétiques. Les botanistes l’appellent ici tavşanmemesi. Les jeunes pousses au printemps sont parait-il comestibles. D’où ma sympathie pour cette plante bienfaitrice… au détriment d’une éventuelle crédulité pour les miracles !
Et en regardant la photo j’ai pensé à ces marchandes de fleurs qui attachent patiemment, avec des bouts de fil, d’autres petites baies rouges aux branches de ce fragon qui lui, semble-t-il, ne sait pas conserver les siennes. (Celles que j’ai photographiées sont authentiques, mais combien de temps vont-elles rester sans se détacher ?)
... A suivre

jeudi 16 décembre 2010

Aşure ou dessert de Noé (Nuh'un tatlısı)


Ce dessert me rappelle immanquablement mon installation en Turquie quand, quelques jours plus tard, une voisine vint sonner à la porte et me tendit gentiment un grand bol rempli d’une substance indéfinissable mais joliment décorée d’éclats de noisettes, de cerneaux de noix et de grains de grenade.
Je fus donc initiée très rapidement à cette tradition du partage de l’aşure, symbole de paix et de respect de l’autre dans sa différence. Je n’ai plus en mémoire le mois exact mais il me semble que c’était au printemps… En effet ce dessert n’est pas lié à une date précise de notre calendrier mais à celle du calendrier musulman, le 10e jour du mois de muharrem, un mois après le 1er jour de la fête du sacrifice.
Pour les Alevis, il commémore l’assassinat à Kerbala du petit fils du prophète Mahomet et le partage d’un plat que pu se confectionner sa famille affamée avec le reste des vivres après 12 jours de jeûne.
Tout aussi chargée de symboles, une autre version évoque un autre prophète, Noé, qui eut pour mission de sauver du déluge toutes les créatures. Son arche s’échoua au sommet du mont Ararat et ses occupants auraient survécu en faisant cuire dans un chaudron tous les aliments qui restaient à bord. C’est l’événement que commémorent avec ce dessert les musulmans sunnites, rejoignant l’anouch abour, préparation culinaire des Arméniens et des Chrétiens d’Orient.

Mais ce jour serait en réalité dix fois sacré par d'autres interventions divines dont les prophètes auraient bénéficié.
Voici donc les autres bonnes raisons de le célébrer:
C’est le jour où Moise suivi de ses disciples pu traverser la mer rouge, s’ouvrant sur leur passage, et se refermant sur ses poursuivants, l’armée du pharaon.
Le jour où Jonas fut sauvé du ventre de la baleine.
Le jour où Dieu accepta le repentir d’Adam puis celui de David.
Le jour de la naissance de Jésus et celui de son élévation au ciel.
Le jour de la naissance d’Ismaël.
Le jour où Joseph fut extrait du puit dans lequel ses frères l’avaient précipité.
Le jour où les yeux de Jacob, aveuglés par les larmes versées sur la perte de son fils Joseph ont revu la lumière.
Le jour où Eyyub fut guéri de ses blessures.
Cette année, pour des millions de ménagères turques, le jour de l’aşure c’est aujourd'hui… et l’on admettra un délai de tolérance jusqu’ à la fin du mois pour les retardataires, car pour préparer l’aşure, il faut du temps !
(Ce dessert est cependant toute l’année dans les vitrines des muhallebici des grandes villes de Turquie.)
On lui consacre généralement la journée, en ayant soin d’avoir mis à tremper la veille, une bonne partie des ingrédients (blé concassé, pois chiches, haricots blancs secs, pignons de pin, amandes, cerneaux de noix, écorces d’orange, raisins de Corinthe (kuş üzümü) ou de Smyrne, figues et abricots secs, cannelle… Chacune garde jalousement les secrets de la recette familiale…
La générosité s’exprime dans l’abondance de la réalisation et le plaisir de la distribution à la famille, aux amis… sans oublier les voisins… Dois-je avouer que, cette année encore, j'ai la faiblesse de compter sur leur prodigalité?

Je suis un peu en retard pour réunir tous les ingrédients!

dimanche 12 décembre 2010

"Pilav" d’hiver à Galatasaray


Pendant que les vieux enfants s’amusent sur le « grand cour » en disputant une rencontre vétérans professionnels contre vétérans amateurs, histoire d’oublier un peu les cruelles déceptions que leur inflige l’équipe officielle, je pars pour une nostalgique promenade dans Beyoğlu… Le ciel s’est dégagé depuis hier mais il fait frisquet…


En face, dans l’ancien bâtiment historique du bureau de poste restauré s’est installé Galatasaray Merkezi, centre culturel si j’en crois l’affiche qui annonce les séances de cinéma. Au programme une rétrospective des films de Reha Erdem (ancien élève du lycée).

L’intérieur semble avoir subi un sérieux lifting et l’immense salle aux grands comptoirs vieillots de bois cirés où j’ai longtemps posté mon courrier à destination de la France, n’est plus qu’un souvenir… Il en reste quand même au moins un avec une petite plaque sur laquelle est inscrit “mektup”…

Un peu plus loin, du même côté, la mythique pâtisserie Inci fait de la résistance, coincée entre les façades galeuses des boutiques qui ont consenti à baisser le rideau. Le lieu a pourtant accueilli des générations de gourmands et de gourmets qui n’auraient pour rien au monde dégusté d’autres profiteroles, d’autres palmiers, d’autres pâtes de coings…



Mais le verdict va tomber en février parait-il (voir le reportage de Nathalie Ritzmann) et Inci risque bien de disparaitre car ailleurs ce ne sera plus pareil… Si Inci devait partir, je ne vois qu’un lieu digne de son prestigieux renom : les locaux de l’historique pâtisserie Markiz aujourd’hui défigurée par les affreuses enseignes d’un banal fastfood.

Saray, le muhalebici de la rue d’Istiklal a bien réussi sa reconversion… Lui aussi a dû s’exiler suite au plan de reconstruction de la bâtisse qui abritera bientôt Virgin. Maintenant de l’autre côté de la rue, ses salons sur quatre niveaux ne désemplissent pas. Il est resté une halte incontournable pour se restaurer sans chichi d’un tavuklu pilav (riz au poulet) ou d’un menemen (genre d’omelette aux tomates et poivrons) … ou combler sans retard une urgente carence en glucides…

Mes préférences vont au kazandibi (fond de la marmite) et au ayva tatlısı (dessert de coings)… mais il y en a bien d’autres et en particulier le fameux aşure, incontournable aujourd’hui !
Kazandibi

Ayva tatlısı

Aşure
Mais on m’attend pour immortaliser la rencontre du jour et je reviens donc sur mes pas avec l’intention de m’attarder un peu dans les jardins du lycée. Si vous voulez me suivre, la visite panoramique est ici.

Sur un banc, un autre genre de rencontre...

Tombeau de Gül Baba
Les joueurs infatigables sont prêts pour la pose ! Score honorable 5-5 match nul ! Tout le monde est content!

Le pilav n’est qu’un des nombreux prétextes pour se retrouver entre « anciens »… Et si on retournait du coté de Saray ?

Un menemen

Un kazandibi saupoudré de canelle?

Ou un aşure?

dimanche 5 décembre 2010

Un plaqueminier dans la rue d'à côté

Dans la rue d'à côté, le plaqueminier a perdu toutes ses feuilles... Sur ses branches dénudées restent encore accrochés, comme des décorations de Noël, ses jolis fruits convoités par les oiseaux. Encore quelques semaines et les kakis seront mûrs pour leur offrir un festin...



samedi 27 novembre 2010

Le pavillon-musée, Aynalıkavak Kasrı


Encadrée d'installations militaires ou industrielles, tout près du chantier naval situé entre Kasımpaşa et Hasköy, une des plus anciennes demeures impériales était fermée au public depuis 1996.
Régulièrement je guettais sa réouverture ou un signe de travaux de restauration… En vain, jusqu’en 2006… Dans un contexte de réhabilitation des quartiers bordant la Corne d’Or, cette initiative était attendue.
Le pavillon vient d’être inauguré le 5 novembre 2010 et abrite désormais un musée de la musique turque.


Peu d’informations sont accessibles sur la date de construction de ce pavillon. Certaines sources mentionnent que les miroirs qui ornent les salons auraient été offerts par la République de Venise au sultan ottoman Ahmed III (1703-1730) et que le premier bâtiment aurait été construit sous Ahmet I vers 1613. D’autres pavillons et kiosques ajoutés par la suite et aujourd’hui disparus, formaient avec celui-ci un ensemble dénommé, à l’époque des tulipes, le palais d’Aynalı Kavak, connu aussi sous le nom de "palais du chantier naval", lieu de détente et de villégiature des sultans et de leur suite. Le jardin en pente descendait jusqu’à la Corne d’Or. Pour le moment la vue est bouchée par une construction peu esthétique dont la prochaine démolition est annoncée.
En attendant on peut visiter le pavillon-musée et admirer les salons.

Salon de musique du sultan Selim III

Grand salon de réception, surmonté de la coupole visible de l'extérieur


Une partie des objets et instruments présentés provient d’une donation de la petite fille musicienne et mélomane du sultan Abdülaziz, Gevheri Osmanoğlu (1904-1980), mais ce fut le sultan Selim III qui lui donna une vocation musicale en y composant l’essentiel de son œuvre, après avoir fait rénover et embellir le pavillon tel qu’on peut le voir aujourd’hui.



Dans les vitrines sont exposés des instruments à cordes pincées : saz, kanun, oud, tanbura, d’autres à cordes frottées : violon, kemençe... des instruments à vent : ney, zurna... et des percussions : davul, darbuka et cymbales... Pour compléter la visite, un fond sonore serait le bienvenu pour s’imaginer entendre un récital de musique classique turque (Türk sanat müziği) allongé sur les confortables sedir

Les deux grands portails sont ornés respectivement des monogrammes (tuğra) des sultans Selim III (1789-1807) et Mahmut II (1808-1839)
 
Tuğra du sultan Mahmut II

Le pavillon est ouvert tous les jours, sauf lundi et jeudi, de 9h30 à 16h de novembre à mars et jusqu'à 17h d’avril à octobre.
Aynalıkavak caddesi, Hasköy, Istanbul
Parking gratuit – entrée : 1TL

vendredi 19 novembre 2010

Flan parisien : consolation en douceur

En Turquie la tradition veut que l’on s’offre quantité de pâtisseries et de confiseries à la fin du ramadan si bien que cette fête religieuse est dénommée très souvent fête du sucre. Comme dans d’autres cultures, le sucre est aussi présent au cours de cérémonies pour se remémorer un défunt : le Mevlüt şekeri est censé apporter un réconfort.

En France cette offrande est plutôt associée à des événements heureux pour en décupler le plaisir. Pensons aux cornets ou sachets de dragées et autres présentations que nous recevons à l’occasion d’une naissance, d’un mariage… aux friandises qui accompagnent Noël et Pâques…
Le bonbon est aussi une récompense et s’offre pour accentuer une reconnaissance, un remerciement. Les friandises furent longtemps distribuées aux enfants sages… ou pour consoler leurs chagrins. Mais les nutritionnistes sont passés par là et nous ont expliqué que l’attitude était néfaste pour la santé. Manger sucré a désormais un goût amer de mauvaise conscience…

Il n’empêche que les traditionnels réflexes religieux ou laïques sont toujours là et qu’il y a des moments où leur empreinte reste très forte.
Chacun sa méthode pour tenter d’atténuer une profonde tristesse…
C’est le flan parisien avec son goût d’enfance qui s’est substitué au Mevlüt şekeri pour m’apporter une douce consolation.
Sur mon chemin il y avait "L'autre Boulange", 43, rue de Montreuil dans le 11e et je n’ai pas résisté à la tentation. C’est l’un des meilleurs de Paris !





 


vendredi 5 novembre 2010

Au jardin du souvenir...

Pendant ces longs mois j’ai cru qu’il était possible de me préparer à ton départ.
Ces dernières semaines j’ai cru pouvoir trouver le courage de te dire que je l’acceptais et que tu pouvais partir tranquille pour ce voyage sans retour en solitaire…

Le moment est venu, le jeudi 28 octobre, et je n’étais pas prête. Toujours trop brutale cette absence qui va s’éterniser. Toujours trop tôt, trop douloureux l’instant de la séparation.
Tu évoquais confusément un sombre et long tunnel obstrué ! Tu as trouvé la sortie…
Sur la pelouse fleurie du jardin du souvenir, repose-toi bien maintenant mon petit Papa. Le merle viendra en sautillant, sifflera et te tiendra compagnie.

mardi 5 octobre 2010

«Les années» d’Annie Ernaux

Il y a des moments où la rencontre avec un roman résonne en écho douloureux et apaisant à la fois. Douloureuses, les évocations des sentiments de l’auteure parce que trop proches des pensées qui tournent dans la tête, mais apaisante la sensation de les partager.
Les années d’Annie Ernaux sont un peu plus longues que les miennes, mais ça n’empêche pas de faire vibrer quelques cordes bien sensibles… Une envie de sauver des images…

« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais. »

« Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mot le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d une lointaine génération. »

Et le livre refermé, bien des phrases m’accompagneront dans mon voyage à Paris, sixième plongée en apnée depuis le début de l’année. Des bulles de souvenirs vont encore éclater en surface.

dimanche 3 octobre 2010

Court séjour à Bursa


Il y avait longtemps (une vingtaine d’années) que je n’étais pas retournée à Bursa…. Le CE2, si mes souvenirs sont exacts, partait en voyage pédagogique et j’accompagnais cette classe découverte du lycée Pierre Loti. Les enfants, et moi en même temps qu’eux, avions découvert avec curiosité les étapes de la filature industrielle de la soie, de la sériciculture (élevage du vers à soie sur les feuilles de murier jusqu'à la fabrication du cocon) puis la préparation des cocons, le dévidage et enfin l’enroulement des fils sur les dévidoirs…
Un bref séjour a été l’occasion de revoir cette ville que les ottomans avaient choisie pour première capitale (de 1326 à 1361), et où l’on aimerait prendre le temps de flâner… Mais les heures étaient comptées et du parc de la culture je n’ai qu’une photo prise de la chambre d’hôtel juste en face.
Bursa est en effet réputée pour son environnement naturel verdoyant qui lui vaut d’être nommée Bursa la Verte et les carreaux de faïences d’Iznik ne sont donc pas les seuls à justifier ce qualificatif.

Dans le quartier Hürriyet un vénérable ancêtre végétal, un platane d’Orient de plus de 600 ans, 35m de hauteur et 3m de diamètre, est mis à l’honneur et attire les visiteurs dans le petit parc « Nostalji ». Ils s’attardent au pied de l’arbre séculaire, illuminé le soir, pour y siroter un thé brûlant ou déguster des « gözleme » confectionnés dans les règles de l’art et cuit patiemment sur la grande plaque chauffée au feu de bois.




En passant devant la maison de Hacivat et Karagöz, petit musée reproduisant leurs effigies sur ses murs, le chauffeur de taxi s’empresse de nous raconter la légende très répandue qui fait naitre à Bursa les deux personnages réels qui auraient inspiré la création de ceux du théâtre d’ombre bien connu. Censés travailler tous deux sur le chantier de la mosquée d'Ulu, ils passaient leur temps à bavarder et faire les pitres pour amuser leurs camarades, les empêchant d’avancer dans leur tâche. Le sultan Orhan Gazi, très mécontent, les aurait fait décapiter. Les habitants de Bursa auraient tellement regretté leurs facéties que le vizir, Şeyh Küsteri, aurait eu l’idée de les faire revivre en créant des marionnettes, apaisant du même coup les remords du sultan.

Petit problème chronologique, la mosquée d’Ulu a été construite entre 1396 et 1400 pendant le règne de Beyazıt Ier (1389-1402) et le sultan Orhan est mort en 1360. Le chantier évoqué serait donc logiquement celui de la mosquée d’Orhan Gazi (vers 1339). Mais les légendes prennent souvent quelques libertés avec les vérités historiques… Et la grande mosquée d’Ulu est si impressionnante qu’on peut hésiter à lui retirer les ombres des marionnettes en peau de chameaux qui collent à ses murs…

Bien réelles, de gigantesques inscriptions calligraphiques ornent l’intérieur de la mosquée, mentionnant les quatre vingt dix noms d'Allah en écriture divani et koufique, rappelant la décoration de la vieille mosquée d’Edirne construite peu d’années après.



Celle-ci a cependant une particularité remarquable : son bassin d’ablutions (şadırvan) en marbre, placé à l’intérieur, sous la plus haute des vingt coupoles.

Le Bazar, l’Emir han (l’un des plus anciens caravansérails ottomans), offrent dans la vieille ville l’occasion de se faire une idée de l’activité commerciale établie depuis le 14e siècle.

Le Koza han, dont la construction fut ordonnée en 1491 par le Sultan Beyazit II est encore un centre important de l'industrie et du commerce de la soie. Au début de l’été s’y déroule une vente de cocons. Une petite mosquée surmonte une fontaine au centre de la cour intérieure, entourée par deux étages de magasins.



A proximité du Koza Han, une installation typiquement chinoise rappelle au beau milieu de la place, l’origine de la découverte de la fabrication de la luxueuse étoffe.


Plus à l’Est, les symboles de Bursa offrent aux regards les somptueuses couleurs des faïences de la mosquée Verte (Yeşil Cami – construite par l’architecte Vizir Haci Ivaz Paşa pour le sultan Mehmet 1er – 1419-1420) et du tombeau du sultan Mehmet 1er (Yeşil türbe) dont la construction fut ordonnée par son fils, Murat II, en 1421.






L’intérieur de la mosquée Verte est actuellement en restauration et la visite un peu limitée. On peut cependant prendre la mesure du raffinement de la décoration. Un art sobre et élégant vit le jour ici avec de nouveaux maîtres dont Ali Ibn Ilyas Ali, considéré comme le premier artiste dans le domaine de peinture murale typiquement ottomane. Il réalisa en 1423 tous les ornements de la Mosquée Verte.
A l’extérieur les fenêtres sont soulignées par des bandeaux de faïence turquoise, rehaussant les harmonieuses marbreries des façades.




Près de la Mosquée verte se trouve également le Musée turco-islamique qui occupe l'ancienne medrese de la mosquée. Des productions de l'artisanat populaire y sont exposées. (Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h.) Visite bien trop rapide, l’endroit mérite de s’y attarder plus longuement…



Une autre fois, il faudra prendre le temps de se promener dans les jardins du complexe de la mosquée de Murat II construite en 1425-1426, ou repose, dans l’un des onze tombeaux de forme hexagonale, le prince Cem, fils préféré du sultan Mehmet II, évincé du trône par son frère Beyazıt II et qui connu la captivité à Bourganeuf dans la Creuse, après avoir régné quelques jours à Bursa en 1482.

De longues années après le déplacement de la Capitale ottomane vers Edirne, les sultans n’ont pas cessé de faire édifier leurs mausolées à Bursa jusqu’à la prise de Constantinople et même après pour quelques princes au destin tragique…

Cette ville a donc la particularité d’offrir au regard la naissance et l’évolution du style ottoman aux XIVe, XVe et XVIe siècles, préfigurant l’apogée aux XVIe et XVIIe siècles dans les réalisations architecturales à Istanbul.

A ce riche patrimoine historique, vient s’ajouter les attraits d’une ville très vivante que les activités industrielles, universitaires, culturelles ont hissé à la 4e place des grandes villes de Turquie.