dimanche 22 février 2009

Balade à Izmir

En avril l’année dernière, de passage à Izmir, j’avais décidé que je ne quitterai pas Izmir sans voir de près la tour de l’horloge !



Symbole de la ville, elle est située place Konak et se dresse face à la mer. Elle fut érigée en 1901, pour les 25 ans de règne du Sultan Abdülhamit.
Sur la même place, la petite mosquée, (Yalı camii) construite en 1755 pour Ayse Hanim, est remarquable par son plan octogonal et son revêtement de céramiques de Kütahya.





Je suis la foule et me dirige vers Kemeraltı et ses ruelles où se déploie le bazar (genre Mahmut Paşa d’Istanbul), à l’emplacement du port antique qui fut remblayé.

Un panneau indique l’Agora et je pars dans cette direction mais j’ai l’impression que la rue fait une boucle ou une spirale et que je suis en train de revenir à mon point de départ… En tout cas pas d’Agora à l’horizon. Sans les indications des passants je n’aurais pas trouvé. Les ruelles que j’emprunte n’ont plus rien de touristique et le quartier m’apparaît plutôt délabré… le genre d’endroit où l’on ne s’aventure pas trop la nuit. Mais il fait jour et j’aperçois le site entouré d’un grillage.


Les vestiges actuels sont ceux que Marc-Aurèle fit reconstruire après le tremblement de terre de 178. Il ne reste de l'immense place que quelques portiques qui donnent cependant une idée de la façon dont pouvait être agencé ce lieu, coeur économique et politique de la cité.
L'agora était entourée de stoas (portiques) sur trois côtés et d'une grande basilique romaine (bâtiment publique utilisé par les fonctionnaires impériaux, les magistrats de la cité et par les hommes d'affaire) sur son côté nord.









La basilique de Smyrne (mesurant 165 m sur 28 m) était une structure à trois étages avec un grand hall central. A cause de l'importance de la pente du terrain, le niveau inférieur des bâtiments au nord et à l'ouest est en partie souterrain et possède de longues galeries voûtées encore en bon état aujourd’hui et visitables, mais je ne m’y suis pas aventurée. L’endroit étant un peu trop désert ! Il était probablement utilisé en tant que marché couvert.

Trouver l’Agora a pris un peu de temps et je suis arrivée trop tard pour visiter le Musée Archéologique inauguré en 1983, qui possède une superbe collection d’antiquités comprenant les statues de Poséidon et de Déméter décorant autrefois l’agora, ainsi que le Musée Ethnographique, exposant des collections d'art et des oeuvres d'artisanat traditionnel: céramiques, outils en cuivre, broderies, costumes…
La prochaine fois…

Je dois rentrer maintenant à Alsancak en profitant du front de mer, lieu privilégié de promenade des habitants de la ville.


J’arrive justement à l’embarcadère de Pasaport (nom des docks et de la jetée situés vers la Place Cumhuriyet. 10 minutes de rêveries et me voici arrivée. Pas difficile de se repérer ! La tour du Ege Palas ne passe pas inaperçue !



Je retrouve le point de rendez-vous et ses parfums bien connus, avant d’aller dîner tous ensemble dans l’un des nombreux petits restaurants de la Kıbrıs Şehitler caddesi où le choix ne manque pas !



mardi 17 février 2009

Neige et floraisons de février

Hier soir il a neigé à gros flocons pendant une heure sur les hauteurs d'Istanbul...
Les enfants ont eu le temps d'espérer qu'il n'y aurait pas école le lendemain, les voitures ont patiné et il y a eu quelques tôles froissées!

Mais ce matin tout avait fondu ...ou presque...

Le ciel était bleu comme s'il ne s'était rien passé...

En attente du printemps, on peut toujours se contenter des floraisons de février:

Laurier tin et mimosa dans mon quartier

dimanche 15 février 2009

Du coté de Kireçburnu...


Une Balade vivifiante ...

Un avant goût de grand large, la mer Noire pour horizon.

Les chalutiers sont encore en pleine action. C’est toujours le moment de manger du poisson !
Bien que les sardines semblent déserter le Bosphore à cause d'un réchauffement inquiétant...

http://fr.news.yahoo.com/2/20090206/video/vwl-les-poissons-fuient-le-bosphore-deve-acb3f14.html





Quelques variétés de saison en tr/fr:
Kalkan / turbot : février, mars, avril
Gümüş / athérine : février, mars
Tekir / petit rouget : de février à juillet
Izmarit / mendole commune : novembre, décembre, janvier, février
Levrek / bar (surnommé parfois le poisson du Bosphore)
Sardalya / sardine





















































mercredi 11 février 2009

Les "Sebil" d’Istanbul, fontaines de donations ou fontaines de charité

Quel rapport y a-t-il entre ces monuments architecturaux et l’humble sébile, récipient en forme de coupe peu profonde destinée à recevoir les aumônes ? Et bien justement le mot arabe "sabîl" signifiant aumône, qui désigne en turc ces fontaines de donations où étaient accrochées par une chaînette des petits bols pour permettre aux passants de se désaltérer, ce qui a donné dans le vocabulaire français la sébile utilisée pour mendier. Le mot turc s’attache donc plutôt à l’offre charitable mise à la disposition de ceux qui en ont besoin, à la distribution d’un bien précieux et vital, l’eau, magnifiée par une mise en scène monumentale, alors que le mot français a retenu la demande, la quête, l’obole que réclament les plus démunis pour survivre et désigne l’accessoire du mendiant, symbole de son extrême pauvreté.

Intéressante constatation qui met en lumière les deux aspects de la notion de générosité ! Celui qui la dispense et celui qui la reçoit. Le premier insiste sur la grandeur du geste du donateur, le second stigmatise celui qui est contraint de faire appel à la charité.

Alors que les sébiles n’envahissent pas les musées, une profusion de "sebil" s’offre au regard du promeneur dans l’ancienne capitale ottomane. Pourquoi se priver d’admirer ces resplendissantes architectures témoignant d’un passé certes déjà décadent mais se voulant encore sublime. La plupart des fontaines de donation encore visibles aujourd’hui datent en effet du 18e siècle.

Si l’art byzantin s’est illustré par la construction d’immenses citernes admirables, (voir La Passerelle info No 41) l’art ottoman s’est distingué avec talent et originalité en s’appliquant à un genre d’édifice inhabituel. Des sources historiques attestent d’un premier exemple de "sebil" à Istanbul, celle de Efdalzade, datant de 1496 et aujourd’hui disparue, construction sans fontaine. D’autres sources font état de l’existence du concept en Anatolie chez les Seldjoukides.

Mais à partir du 17e siècle, l’ensemble fontaine-sebil devient la règle comme celle que l’on peut encore voir dans le quartier d’Eminönü, exécutée sur l’ordre de Hatice Turhan Valide Sultan et datant de 1663 (photos 1,2,3). Elle est considérée comme le modèle dont vont s’inspirer les architectes pour les constructions de ce type au 18e siècle mais on ne connaît pas vraiment le nombre de "sebil" construites au siècle précédent puisqu’une seule a résisté aux démolitions et aménagements successifs de la ville.



Les compositions architecturales du 18e siècle vont reprendre le style de la "sebil" que l’on peut voir à Eminönü avec des variantes mais généralement une base en marbre supporte des colonnes en marbre également et des grilles en bronze, le tout recouvert d’une large coupole tombante. Plus on avance dans le siècle et plus l’influence baroque et rococo venue d’Occident se manifeste par l’utilisation d’éléments architecturaux tel que pilastres et corniches ainsi que des motifs de guirlandes et festons sculptés dans le marbre. Au style ottoman classique succède le baroque ottoman.
Toutes dues à des sultans, à des membres de leur famille ou des personnalités de l'État, elles sont situées à des endroits stratégiques où se déroulaient des cérémonies, le plus souvent à proximité d’une mosquée, d’une école ou de la porte principale d’un complexe religieux. On y distribuait gratuitement des boissons sucrées (şerbet) et jus de fruits les jours de fête (Bayram et Kandil) et ceux qui le désiraient pouvaient faire toutes sortes de donations près de ces fontaines.
Elles peuvent être classées suivant quelques caractéristiques :

* En coin, à l’angle d’artères importantes, comme celle du Damat Ibrahim Paşa dans le quartier Şehzadebaşı construite en 1719 (photo 4). Elle fait partie du complexe religieux et la "sebil" arrondit un des angles, avec une fontaine à sa gauche. C’est un des modèles les plus anciens qui fut repris pour la construction en 1777 de la fontaine de donations à double "sebil" du sultan Abdül Hamit Ier qui se trouvait près du complexe du sultan, vers la Grande Poste d’Eminönü. Une grande partie de l’ensemble fut détruit, mais la fontaine déplacée est actuellement à coté de la mosquée de Zeynep Sultan en face de l’entrée principale du parc de Gülhane (photo 5).




* En décoration de façade : à Dolmabahçe la fontaine de Mehmed Emin Ağa (1741) n’a qu’une seule "sebil" à gauche de la fontaine (photo 6), à Kabataş celle de Koca Yusuf Paşa (1786) comporte deux "sebil" encadrant la fontaine (photo 8). Cette dernière, à l’origine à côté de la “Fındıklı Cami”, a été déplacée en 1957 lors de l’élargissement de l’avenue Tophane-Dolmabahçe. C’est un bel exemple de rococo ottoman.
On peut également retenir en exemple celle du quartier de Vefa ornant la façade de la bibliothèque Recai Mehmed Efendi (1775). Elle est malheureusement dans un état de délabrement avancé (photo 7).





* En monument commémoratif ou même mausolée abritant un tombeau : à Azapkapi, la fontaine de Saliha Sultan (1732) (photo 9) qui a profité d’un mécénat et celle de Ahmed III (1728) devant bâb-i humayun (palais de Topkapi) (photo 10). Leur récente restauration met en valeur les premiers signes du style baroque ottoman.

L’évocation non-exhaustive ci-dessus de ces fontaines donne un aperçu d’un genre architectural caractéristique du 18e siècle. Très peu d’exemples sont à relever au 19e siècle à part celle de Cevri Usta (1819) dans le quartier de Sultanahmet, et vers Tünel la "sebil" du monastère Mevlevi (1819). Selon les archives on aurait recensé jusqu'à 125 fontaines-sebil entre le 17e et 19e siècle. Il n’en reste aujourd’hui qu’une vingtaine : une bonne raison pour soigner leur conservation et assurer leur protection.

Mais le patrimoine est tellement riche à Istanbul que l’on pare souvent au plus pressé et les solutions pour trouver les fonds nécessaires à la restauration et la conservation des monuments historiques n’est pas toujours adaptée, en particulier la location à des fins commerciales. Le sujet a déjà été évoqué à propos de la citerne byzantine "Binbirdirek" (No41) longtemps abandonnée aux objectifs purement mercantiles de commerçants souvent inconscients de la valeur inestimable des lieux qu’ils occupaient.
La critique est facile mais il faut reconnaître que dans certains cas, le projet donne des résultats plutôt positifs. Sans défigurer le monument, il peut inciter le passant à le visiter. C’est le cas du hammam de Roxelane (Sultan Haseki Hürem hamamı) ou sont exposées et vendues des reproductions de tapis et kilims anciens et des pièces originales produites en Anatolie. Depuis 1988 sous le contrôle du ministère de la culture, la cohabitation se passe plutôt bien, alors qu’entre sa fermeture en 1915 et sa restauration il avait servi successivement de dépôt pour la Municipalité puis de dépôt d’essence !

Les fontaines-sebil pourraient bénéficier de ce genre d’arrangement strictement contrôlé. Au lieu de ça, elles sont à l’abandon (celle de Dolmabahce, de Vefa….) ou défigurées par une avalanche de panneaux publicitaires, par une débauche de produits à grignoter et à siroter aux emballages agressifs, transformées en vulgaire "büfe"(celles de Gülhane et de Şehzadebaşı).
Même celle d’Eminönü, la vieille dame qui vient de subir une longue cure de rajeunissement se voit affublée d’un ridicule distributeur d’eau en inox du plus mauvais goût relié par un tuyau. J’ai longtemps cherché sous quel angle la photographier pour éviter cet appendice inesthétique. J’aurai voulu pouvoir prendre une franche photo de face. Je me suis résignée à n’avoir que son profil. Pour l’instant celle de Kabataş est encore présentable et offre au passant quelques instants de détente entre funiculaire et tramway, mais pour combien de temps ?
A noter: Le distributeur disgracieux avait disparu lors de mon dernier passage en janvier 2009.

Texte et photos publiés dans le journal de « La Passerelle Info » No 43 en avril 2007 et réactualisés ce jour.

samedi 7 février 2009

Histoire de « Takkeci Ibrahim Ağa »

A l’emplacement de la mosquée “Takkeci Ibrahim Ağa” vivait autrefois un humble artisan… Il fabriquait des calottes, des bonnets en feutre, en tissu, en fourrure, et les vendait pour assurer sa maigre subsistance et celle de sa famille.

Il implora un jour le ciel de lui apporter la richesse et tint la promesse de faire alors construire un lieu de prière dans son pauvre quartier qui n’en possédait pas.
Quelques nuits plus tard il fit un rêve. Un personnage à la barbe blanche, au visage d’une beauté lumineuse lui apparut et dit :
— Ne cherche pas la bonne fortune en ce lieu. Va plutôt à Bagdad. Sur la place de la ville, près du pont se trouve une cour. Il y pousse un dattier sur le tronc duquel grimpe une vigne. Mange des dattes et du raisin et la chance te sourira.
Il n’attacha pas d’importance à ce rêve qui se renouvela. La troisième fois il réfléchit : « Ce rêve mystérieux doit bien cacher quelque sagesse… Allons à Bagdad et voyons ce qu’il adviendra… »
Sa besace sur l’épaule, il se mit en route. Bien des lunes plus tard, il arriva à destination et trouva l’endroit tel qu’il avait été décrit en rêve, mangea des dattes et du raisin, puis terrassé par la fatigue du long voyage, s’assoupit. De nouveau l’étrange personnage lui apparut et s’adressa à lui:
— Que fais-tu là Ibrahim Ağa ?
— J’ai suivi vos instructions et j’attends que la chance me sourit !
— Que tu es naïf ! Entreprend-t-on un si long voyage simplement pour un rêve ?
— Mais je l’ai vu trois fois ce rêve !
— Et Alors ! Moi aussi j’ai rêvé trois fois que j’allais à Istanbul !
— Vraiment ? Et qu’y avait-il d’autre dans votre rêve ?
— On me disait de trouver la maison d’Ibrahim Ağa et de l’acheter car dans sa cave se trouve un trésor. Mais suis-je allé si loin pour autant ?
Ibrahim Ağa ouvrit les yeux et ne vit personne, mais se souvint d’une chose intéressante ! Un trésor dans sa cave ! Aussi vite qu’il le put, il reprit la route pour rentrer chez lui.
De retour à Istanbul, il voulut en avoir le cœur net et sans perdre un instant s’apprêtait à fouiller la cave dans ses moindres recoins. Mais au premier coup de pelle, il buta contre quelque chose de dur… Un coffre qu’il s’empressa d’ouvrir, le cœur battant : de l’or… des centaines de pièces d’or ! Il referma le coffre et s’assit dessus pour réfléchir !
Ses premières pensées ne furent pas pour la promesse à tenir mais bien pour la difficulté de garder ce secret.
« Si je déterre ce trésor, ma femme va le voir et tout le quartier sera au courant… Je serai obligé d’en distribuer une bonne partie et je ne pourrai plus tenir ma promesse. »
Il décida de mettre sa femme à l’épreuve pour être fixé sur sa discrétion.
Il se coucha et le matin au réveil, se tordit et gémit si bien que sa femme s’inquiéta. Puis il se mit à souffler de soulagement en lui montrant un œuf.
« Femme ! Voila la raison de mon malaise ! Vois cet œuf que je viens de pondre ! Mais surtout ne le dis à personne ! »
Le jour même, se rendant à la prière, des voisins bien intentionnés lui demandent des nouvelles de sa santé, d’autres veulent connaître la taille de l’œuf, bref tout le quartier commente déjà cet évènement extraordinaire…
Ibrahim Ağa n’a plus de doute. Pas question de révéler la présence du trésor à sa femme !
Et c’est en grand secret qu’il rencontre les architectes, fait construire la mosquée et utilise toutes les pièces d’or pour la réalisation de sa promesse.
En 1594, il quitta ce monde après avoir prié deux années dans la mosquée qui porte son nom.

Source: http://www.sevde.de/Islami_yasama/Zenginlik_de_Bir.htm
Traduction libre et adaptation du texte : zenginlik de bir imtihandir (la richesse aussi est une épreuve)
N.d.T. : Notre « takkeci » s’est sorti honorablement de sa mise à l’épreuve dans l’expérience de la richesse, mais le secret n’a pas été aussi bien gardé qu’il le souhaitait puisque son histoire a traversé les siècles! Et sa femme n’y est pour rien !
Moralité de l’histoire : si les femmes ne sont pas lavées de tout soupçon, il faudrait peut être aussi se méfier des architectes !
Les contes issus de l’Islam n’ont pas de connotation si exclusivement misogyne qu’on le dit !
Il existe d’ailleurs plusieurs versions de cette histoire dans lesquelles l’anecdote de l’œuf n’apparaît pas et où il n’est fait aucune allusion au souhait de garder la chose secrète… Par contre cet élément sur la propagation de la rumeur ressemble bien 
à une fable de La Fontaine: "Les femmes et le secret".

Texte et photos publiés dans le journal de « La Passerelle Info » No 48 en juillet 2008 et réactualisés ce jour.

La mosquée “Takkeci Ibrahim Ağa”

Construite en 1591 (peut-être par un élève de Mimar Sinan -1490-1588-, Davut Ağa, mais ce n’est pas prouvé) et commandée, selon la légende, par un habitant du lieu : Ibrahim Ağa, petit artisan fabriquant des couvre-chefs, la "Takkeci Ibrahim Ağa camii" a bien souffert des travaux d’urbanisation entrepris dans le quartier de Topkapı depuis une cinquantaine d’années.
La construction de la E5 a bien failli lui être fatale, mais elle est passée juste à côté, l’amputant cependant de son environnement d’origine et du quartier qui l’abritait. Un avantage quand même… on peut l’apercevoir en passant sur la E5 (à gauche dans le sens centre ville - havalimanı et au niveau de l’échangeur construit récemment pour faire tourner les métrobus.
Pour y accéder en voiture c’est un peu compliqué. En effet les travaux de rénovation et de réhabilitation du quartier de Topkapı l’ont passablement isolée. Par contre c’est très simple avec les transports en commun. Sur la ligne de tramways Kabataş-Zeytinburnu, il faut descendre à la station Topkapı. Quand on vient de Kabataş c’est sur la droite. Il suffit de traverser le parc aménagé à proximité des remparts et la mosquée se trouve derrière les petites maisons de style ottoman récemment construites et la yourte qui trône au milieu d’une pelouse.
Car le décor a bien changé depuis ma première visite…

Les étapes de restauration

Régulièrement je me replonge dans mon vieux guide bleu (édition 74) pour traquer les trésors d’Istanbul qui m’auraient échappé, et qui ne sont souvent même plus mentionnés dans les éditions récentes.
Il y a longtemps, j’avais mis une marque à la page 374 en face de la ligne signalant cette mosquée en ces termes : « … une des petites merveilles cachée d’Istanbul. » Et puis les années ont passé et en 2003 je suis partie à sa recherche. J’ai bien failli renoncer devant l’immense chantier dévastant, cette année là, le quartier de Topkapı mais finalement je l’ai trouvée au bout d’un terrain vague: Constat accablant. L’édifice était à l’abandon dans un état de délabrement avancé mais fermé pour stopper le pillage s’il en était encore temps ! La toiture éventrée laissait cependant les intempéries amorcer leur œuvre destructrice sur les poutres de la charpente et les piliers de bois décorés annoncé par le guide bleu.
Et puis j’ai appris par hasard en 2005 qu’une restauration était en cours. En effet les travaux sur la façade et la toiture venaient de commencer. Elle était encore fermée. Mais l’heure de la prière approchant, un gardien vint ouvrir la porte pour laisser entrer les habitués. Il ne restait plus qu’à attendre la fin de la cérémonie pour espérer avoir l’autorisation de la visiter. Permission accordée.



Cette fois, ce qu'il restait des panneaux de céramiques d’Iznik se laissaient admirer et photographier sans restriction. Les boiseries étaient intégralement barbouillées de peinture verte mais un échantillon de décapage laissait apparaître des décors plus élégants bien que ternis par les siècles. Les restaurateurs avaient du pain sur la planche !




Une autre visite, en avril 2008, m’a permis de constater que les travaux étaient terminés. Il restait encore quelques vestiges, outils et sacs de plâtre, mais le gardien du chantier nous a ouvert la porte et nous a assuré que l’inauguration officielle était prévue pour le 29 mai. Cette fois par contre, interdiction de prendre des photos, le brave homme ne voulait pas en prendre la responsabilité… Sauf qu’il s’est absenté quelques minutes et je n’ai pas pu résister à la tentation… Vite, vite… Juste une ou deux !
Ça brille comme un coffret à bijoux… De la dorure il y en plus qu’il n’en faut… Mais vous allez bientôt savoir pourquoi ! Ce décor est inspiré de la réalisation miraculeuse d’un souhait ! (voir l'Histoire de « Takkeci Ibrahim Ağa » dans le prchain article...)
Pour information, lors de ma dernière visite en Août 2008, la mosquée n’était toujours pas ouverte au public en dehors des heures de prières… et les visiteurs n'étaient pas vraiment les bienvenus…
Pour la découvrir vous pouvez déja faire une visite virtuelle sur le site du photographe Mustafa Cambaz :http://www.mustafacambaz.com/details.php?image_id=8779
Il a visiblement obtenu l’autorisation de prendre des photos ! Et elles sont belles !
Vous y verrez les boiseries peintes et chargées de dorures… La coupole de bois et les élégantes céramiques d’Iznik avec leurs décors rumi (formes végétales stylisées particulières au répertoire des Seldjoukides de Rum) et hatayi (motifs floraux inspirés de l’art chinois -Chine se disant Hatay en ottoman-).
Le décor à feuilles de saz dentelées est associé aux pivoines et fleurs de lotus et les guirlandes de grappes de raisins avec les feuilles de vignes sont là pour nous rappeler le fameux raisin de Bagdad, dégusté à l'ombre d'un figuier par « Takkeci Ibrahim Ağa »...

Texte et photos publiés dans le journal de « La Passerelle Info » No 48 en juillet 2008 et réactualisés ce jour.

vendredi 6 février 2009

Rencontre insolite sur le "Kordon"

Quelques heures avant de quitter Izmir pour prendre le ferry à Bandırma, j’ai voulu profiter encore un peu du front de mer, lieu privilégié de promenade.

Assise sur un banc j’écrivais quelques mots sur une carte postale… Oui ça m'arrive encore!
Un vendeur ambulant s’approche avec sa carriole déglinguée. Je lui achète une bouteille d’eau. Il se présente : « İmdat dede*» ( Pépé Au Secours… ça ne s’invente pas ! ) et commence à faire du rangement tout en me faisant la causette. Il veut savoir la raison de ma présence à Izmir, semble regretter mon départ imminent…

Il m’offre des cacahuètes grillées qu’il vient de sortir de leur boite pour les mettre dans un sac en plastique. Plus pratique pour en extraire une poignée et la présenter en cornet de papier aux clients, précise-t-il.
Il connaît Istanbul mais préfère sa ville. Il me raconte aussi ses malheurs… La veille, les agents de la municipalité lui ont confisqué sa marchandise. Il a dû tout racheter. Ce petit commerce à la sauvette est sa seule source de revenu. Pas de femme, pas d’enfant, il assure sa subsistance en arpentant quotidiennement le Kordon et trouve sans doute suffisamment de chaleur humaine auprès des passants pour garder un optimisme serein.





Un rien cabotin, il ne se fait pas prier pour poser devant l’objectif.
Une poignée de main… Il repart de son côté et moi du mien… Il ne me reste plus qu’à poster la carte avant de repartir pour Istanbul…


Je viens de faire la connaissance d’une figure incontournable du Kordon !
*Les parents d’une nombreuse progéniture donnent parfois des noms étonnants aux derniers nés de la fratrie : Yeter (Ça Suffit), Imdat (Au Secours), Dursun (Que ça s’arrête), etc.

Texte et photos publiés dans le journal de « La Passerelle Info » No 48 en juillet 2008.

La céramique d’Iznik

Une révélation

Un coup de coeur pour un décor floral que j’allais redécouvrir quelques années plus tard se traduisit par l’achat impulsif d’une chope Villeroy et Bosch. Je n’avais pas, à l’époque, remarqué les précisions sur le fond de la vitro céramique de luxe de la manufacture impériale et royale du Luxembourg : 1973 IZMIR.

Izmir? Erreur du responsable de référencement des pièces? Nomination volontairement erronée en signe de respect pour les merveilles d’Iznik. Après tout en Europe qui pouvait se soucier de la différence. Izmir, Iznik... une ville inconnue au nom exotique pour faire vendre la marchandise. D’autant plus que dans les années 70 il arrivait que l’on désigne encore la production d’Iznik sous l’appellation de faïences de Rhodes ou céramiques persanes qui avait été retenue au 19e siècle.

Deux ans plus tard je découvrais in situ les vrais trésors d’Iznik.
Les « çini » omniprésentes à Istanbul, décoraient les murs intérieurs ou extérieurs des mosquées, les pavillons du palais de Topkapi et les mausolées des princes ottomans. La plupart des constructions de l’architecte Sinan (1490-1488), marquant l’apogée de l’art impérial, en étaient abondamment pourvues. Pour la décoration de la Süleymaniye( 1550-1557) une fabrication à grande échelle sera lancée et elle se poursuivra pour la Rüstem Pacha (1560-1564), pour la mosquée d’ Atik Valide (1570-1579) dans le quartier d' Üsküdar, et la mosquée de Sokullu Mehmet Pacha (1572-1577) entre autres.
Par décret du Sultan en 1585, Iznik aura l’obligation de consacrer toute sa production de faïences au Palais, l’une des raisons du déclin de cet art. La dernière grande commande impériale se fera pour la Mosquée Bleue (1609-1617). Plus de 2000 carreaux de revêtement ! En 1648, il ne restait plus que 9 ateliers alors qu’on en dénombrait 300 au début du siècle. En 1719, les derniers fours d’Iznik seront définitivement abandonnés.
En ce qui concerne, les pièces de forme, plats, hanaps et lampes de mosquées, leur exposition semblait plutôt discrète à Istanbul. Les collections étaient peu mises en valeur dans le çinili köşk du musée archéologique et très réduites au musée des arts islamiques. Depuis l’année dernière, le kiosque aux faïences a ré-ouvert ses portes après restauration et a sorti quelques pièces supplémentaires des réserves mais cela reste encore plus modeste que dans certains autres musées du monde.
Par contre, l’étalage en abondance de coupes, de vases du grand bazar était franchement décevant et nuisait grandement à la réputation de la petite ville au passé prestigieux qui laissait produire en son nom des pièces aussi médiocres. D’ailleurs il n’y avait plus aucune production à Iznik depuis trois siècles (jusqu’en 1996). Kütahya, qui fut sa rivale et finit par la supplanter, devint le centre de production de vaisselle émaillée et des carreaux de faïences de l'Empire Ottoman à partir du 17e siècle. C’est encore elle qui alimente presque toutes les boutiques de souvenirs aujourd’hui.
En céramique de qualité variable, la production actuelle n’a rien de comparable avec la composition des pâtes d’Iznik, et les décors sont appliqués sur toutes sortes de formes fantaisistes : porte savons, gobelets, cendriers pour satisfaire une clientèle peu exigeante. On peut trouver cependant des pièces plus esthétiques qu’il y a 30 ans. Les copistes s’appliquent davantage, semble-t-il, à ne pas trop dénaturer les éléments de décor originaux.

La Fondation d'Iznik
La Fondation d'Iznik, créée en 1993, y est sans doute pour quelque chose. Soutenue dans sa démarche et son action par le TÜBİTAK (CNRS turc) et l’Université de Princeton, elle a pour but de faire connaître cet art de la céramique et de protéger un héritage de valeur aux générations futures. Depuis 1996 une production respectant la technologie utilisée dans la fabrication des faïences d'Iznik au 16e siècle sort des ateliers d’Iznik. Sans les reproduire à l’identique, elle en garde l’esprit et cherche à conserver son renom. La création fait partie du programme audacieux de la Fondation pour que la production de céramique à Iznik ne soit pas que le reflet d’un passé glorieux mais qu’elle prenne place dans les plus grands projets architecturaux actuels.
Des panneaux décoratifs de facture contemporaine couvrent désormais les murs des grandes enseignes d’Istanbul, Ankara, Izmir, Gaziantep ou Montréal. Banques, grands hôtels, universités et municipalités sont devenus leurs principaux clients. Les stations du métro d’Istanbul ont quand même fière allure… et le jardin de la Paix à Montréal a paré 9 murets et 9 tourelles de sa promenade des plus jolis motifs de cyprès effilés, de guirlandes de tulipes et d’œillets.

La Fondation dispose d'un bureau de liaison à Istanbul:
Kuruçeşme, Öksüz Çocuk Sokak No 7, qui est aussi un lieu de vente où sont exposés de nombreuses pièces de formes variées et des modèles de panneaux. En raison de la composition de la pâte contenant 85% de quartz et l’apparentant à une pierre semi-précieuse, les bagues, confectionnées avec des modèles réduits de céramique sont de vrais bijoux.
La Fondation d'Iznik soutient aussi les fouilles et recherches archéologiques. Une de ses missions est d'assurer la protection des faïences d'Iznik qui ont pris place dans les musées du monde entier en raison de l'originalité de la technique utilisée au 16e siècle.
Cette reconnaissance par les autorités turques est, on peut le noter, relativement récente, et le souci de protection regrettablement tardif.
Les fouilles des fourneaux d’Iznik n’ont commencé qu’à partir de 1967 sous la direction du Prof.Dr. Oktay Aslanapa, président du département d’Archéologie et d’Histoire d’art à l’université d’Istanbul. Il a ainsi été établi que les revêtements des constructions ottomanes du 16e et 17e siècles provenaient bien des fours d’Iznik.Les travaux se sont poursuivis depuis 1994, sous la direction du Prof. Dr.Ara Altun, enseignant dans le même département, avec la participation de ses étudiants et de nombreux scientifiques.

Les collections muséales de céramique ottomane
On a pu récemment lire dans la presse des élans d’indignation et des polémiques à propos des collections muséales dans le monde. Le musée du Louvre est accusé de pillage et la restitution d’un panneau mural provenant du tombeau de Selim II situé dans l’enceinte du musée de Sainte Sophie est demandée par le Ministère de la Culture et du Tourisme. En 1895, Albert Sorlin Dorigny, un chirurgien dentiste collectionneur, sous prétexte de le restaurer aurait dérobé ce panneau et l’aurait remplacé par une imitation puis vendu l’original au Louvre. Les copies, décorant actuellement le tombeau, portent au dos la marque des ateliers de Choisy le roi, (fabrique de céramique qui fournira la plus grande partie des revêtements du métro parisien).
On ne peut visiter la salle d’exposition du musée du Louvre sur l’art ottoman sans être époustouflé par l’impressionnante collection de carreaux et de vaisselle d’Iznik.
http://www.insecula.com/salle/tabloid_MS00461.html (un aperçu de la collection sur le net et des indications sur l’acquisition mentionnant à plusieurs reprises un achat de la collection d’Albert Sorlin Dorigny --1895).

Madame Jale Dedeoğlu, conservatrice du musée de Sainte Sophie, note cependant que la différence entre les copies et les originaux est visible à l’œil nu. Les carreaux auraient donc été subtilisés sans provoquer la moindre réaction pendant plus de 100 ans et Albert Sorlin Dorigny n’a certainement pas pu réaliser ce tour de passe-passe sans complicité, si toutefois c’est bien lui le coupable.
Il faut reconnaître qu’au 19e siècle, période pendant laquelle l’Europe s’entichait d’art oriental, l’empire ottoman ne s’émouvait pas trop de l’éparpillement de son patrimoine et en particulier de ses céramiques.
C’est ainsi qu’à la même époque un certain Auguste Salzmann, archéologue, constituait une exceptionnelle collection de plus de 500 pièces acquises à l’occasion de son séjour à Rhodes entre 1857 et 1868. Le musée de Cluny en fit l’acquisition et mentionna 532 numéros dans son catalogue de 1883. Quelques pièces furent cédées au Louvre.
L’origine géographique de la collection est responsable de l’appellation erronée « faïences persanes de Rhodes » sous laquelle était connue la production d’Iznik à la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e. La présentation des pièces vendues par Auguste Salzmann au musée de Cluny va contribuer à la redécouverte des motifs d’Iznik et devenir une source d’inspiration pour les céramistes occidentaux :
Théodore Deck (1823-1891) Edmond Lachenal (1855-1930) Leon Parvillée (1830-1885) et Jules Vieillard en France. William de Morgan (1839-1917) en Angleterre. Milkos Zsolnay (1857-1922) en Hongrie.
Emile Samson (1837-1913) en fera des copies frauduleuses à Paris.
Un livre superbe retrace l’histoire de la collection et de son exposition au musée de la renaissance du château d’Ecouen depuis une vingtaine d’années. « Iznik, l'aventure d'une collection », Frédéric Hitzel, chargé de recherches au CNRS, et Mireille Jacotin, conservateur du Patrimoine, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, RMN, 2005, Paris.
Ce fonds exceptionnel de 475 pièces de céramiques ottomanes dans les collections publiques françaises surprend plus d’un lecteur de l’ouvrage et plus d’un visiteur du musée.

Une autre collection remarquable, celle de Calouste Gulbenkian, a fait l’objet très récemment d’une exposition en Turquie. Né en 1869 à Üsküdar, il avait souhaité faire construire son musée à Istanbul. Malheureusement, n’ayant pas pu s’entendre, à l’époque, avec les autorités turques, sa volonté n’a pu être réalisée. Pour le cinquantenaire de sa mort, une partie des collections du musée Gulbenkian de Lisbonne a été accueillie par le musée Sakıp Sabancı, à Istanbul, du 15 avril au 28 mai 2006. Une douzaine de céramiques d’Iznik a été exposée, une infime partie de la collection qui comporte 112 pièces de forme et environ 800 carreaux et plus encore dans les réserves d’après le livre « Iznik çinileri ve Gulbenkian koleksyonu » Sitare Turan Bakir, Kültür Bakanlığı Osmanli Eserleri, 1999. Le monde entier a reconnu l'époustouflante prouesse des potiers ottomans entre 1530 et le milieu du 17e siècle. Il est rassurant de constater que la Turquie le fasse à son tour et cherche enfin à protéger son patrimoine. Qu’à travers la Fondation d’Iznik il soit possible de faire revivre l'extraordinaire variété des styles par une production contemporaine de qualité aussi digne que possible de ses ancêtres.

Deux autres très beaux livres à consulter pour les passionnés.
Nurhan Atasoy, Julian Raby et Yanni Petsopoulos, Iznik. La poterie en Turquie ottomane, Chêne, 1996.
Walter B. Denny, Iznik. La céramique turque et l’art ottoman, Citadelles et Mazenod, Paris, 2004.
Un article de Frédéric Hitzel à lire:

Texte et photos publiés dans le journal de "La Passerelle" No 40 en juillet 2006